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Une lettre de Vinaver à Camus sur l’engagement (laviedesidees.fr)

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Comment renouveler l’engagement littéraire? En 1950, Michel Vinaver, alors jeune romancier, écrit à Albert Camus et s’interroge. À travers son théâtre, Vinaver trouvera très vite une réponse à ses questions: c’est la forme qui dira l’engagement. Une lettre de Vinaver à Camus sur l’engagement Par quels moyens, autres que ceux du didactisme, de l’émission de messages ou de thèses, l’œuvre peut-elle agir politiquement? C’est face à Camus, avec et contre lui (leur correspondance en témoigne[ 1] ), que Vinaver a pu proposer un renouvellement de l’idée d’engagement, et cela très peu de temps après que Sartre en a eu formulé les grandes lignes dans Qu’est-ce que la littérature? (1948). Dans sa lettre du 9 mars 1950, le dramaturge compose une histoire littéraire en miniature, à travers le prisme de l’engagement littéraire. Cher Camus, Peut-être que ce mouvement pour l’engagement de l’écrivain (lui-même daté de 40-45, c’est-à-dire un moment où l’espoir était rené très fort) n’aura été qu’un dernier sursaut de l’optimisme qui, depuis la Renaissance, a donné naissance et grandeur à l’idée d’entreprise humaine, à la notion d’homme-entrepreneur (et libre-entrepreneur…). En antithèse le pessimisme, déjà au 17e siècle avec Pascal, puis au 18e (Sade etc…) puis au 19e (il faudrait citer 50 noms) aboutit au 20e à La Nausée, à L’Étranger, à La Colonie pénitentiaire, au Malraux-RPF etc… A mesure qu’ils se développaient, ces deux courants se heurtaient au cœur des œuvres principales (premier 19e siècle: Byron, Musset etc… deuxième 19e siècle: Baudelaire, Dostoïevski, Nietzsche etc…). On peut même peut-être dire que les œuvres furent «importantes» d’autant qu’elles exprimaient cette contradiction de l’homme grand et cherchant à s’amplifier encore d’une part, et de l’homme méprisable et voulant aller jusqu’au fond de sa misère d’autre part. Au début du 20e, un répit. C’est la «bourgeoisie-soleil» (les grandes questions et aspirations rentrent dans leur nid; les usines fonctionnent et rapportent; on s’occupe du ménage à trois). Puis 14-18 et de nouveau les deux courants dont le choc produit cette fois le surréalisme qui est peut-être le point culminant dans l’évolution du mythe de l’homme-dieu fusionné à celui de l’homme-rien. Culminant parce que depuis, la composante «optimiste» sera en régression brutale, et finalement éliminée. Mais ceci ne tient pas compte d’un «élan» qui né tardivement (deuxième moitié du 19e) a pour moteur le simple instinct de conservation de l’espèce. Qui exprime l’angoisse consécutive à la constatation du fait que l’extrême exaltation de l’homme ne peut aboutir qu’à son extrême ravalement; et qui comprend que, plutôt que de prétendre que l’homme est tout pour finir par dire que l’homme n’est rien, il faut affirmer que l’homme est «quelque chose» et que ce quelque chose, aussi peu qu’il soit, est très précieux, et très en péril, et même très entamé déjà, et qu’il faut tout faire pour sauvegarder ce qui en reste. Cet «élan» est, si on veut, une transformation qu’opère sur lui-même l’«optimisme» au moment où celui-ci se rend compte que dans sa forme «illimitée» il mène inévitablement à son contraire; l’optimisme se limite donc (limite l’homme), se met sur sa défensive, et, il faut le dire, est dès son nouveau départ à tel point conscient de la possibilité de la catastrophe que, entre l’angoisse et l’espoir qu’il a pour objet d’exprimer, la première domine déjà. C’est Tolstoï, Carlyle, Arnold, Hardy et la grande époque victorienne culminant avec Eliot, jetant un regard nostalgique (hésiodique) sur le passé, tâchant d’agripper ce qui n’est pas encore défait, de remettre ensemble les fragments qui surnagent (et s’il n’en reste, d’en imaginer…). Avec 1940-45, il y a eu la sensation que le fond avait été atteint. Et que le fond n’était pas le néant puisqu’un ressort avait joué (cf. le mythe du Roi-Pêcheur). De là ce sursaut d’optimisme, non plus illimité, mais pas non plus nostalgique; cet espoir que les meilleurs hommes ensemble sauraient continuer le travail de reconstruction de l’homme, rené dans la révolte. Et puis, il a fallu se rendre compte que le fond n’avait pas réellement encore été touché, que le néant n’avait pas encore été atteint (que le vieux roi n’avait pas été vraiment noyé) mais que la course vers lui reprenait. Alors? Possibilité de nostalgie bien sûr. Mais aussi cette autre: prise de conscience du fait d’avoir été, à la faveur des temps héroïques, victime d’une grande illusion: l’homme ne s’est pas refait entier dans l’épreuve. Il est resté entamé (c’est-à-dire il n’a pas reconquis autant de pouvoir sur son destin qu’il pouvait croire). L’engagement complet et conscient demandé à chacun, à soi-même, était trop supposer que l’homme avait reconquis ce pouvoir. L’engagement était non pas difficile, mais impossible (c’est pourquoi il a acquis d’ailleurs, vite, un sens «magique»). Alors quoi? Revenir à une exigence plus humble. Travailler dans l’obscurité, sans trop savoir où on va. Pour l’écrivain, écrire «n’importe quoi». Et ceci mène à une considération psychologique: pourquoi l’écrivain écrit-il? Dans des temps relativement stables, il croit le savoir: Milton est engagé à «justify the ways of God to man», le poète homérique à inspirer les jeunes par l’exemple des héros, Molière à instruire et divertir. Dans les jours que nous vivons, à moins de se leurrer, ou de s’enfermer dans un système clos, il ne peut pas même croire le savoir. S’il essaie de formuler une réponse à cette question, le contexte absurde dans lequel il vit enlève toute résonance aux mots de sa réponse. Il doit faire (sans raison, et en assumant le risque de n’avoir pas raison) confiance au fait qu’il écrit, et espérer que l’œuvre même sera la réponse. Sa conscience n’a plus de pouvoir sur le destin. Mais son œuvre (qui provient d’une couche plus profonde, plus élémentaire de son être) peut-être en aura. Je dis: il doit faire confiance… Mais il fait, puisqu’il continue d’écrire… Notre échange de lettres m’a conduit à ce BRAINSTORM qui va, avec le prochain courrier, déferler chez vous. Paris est très beau en ce moment, et le travail continue. J’aimerais terminer ce deuxième livre vite. Ne me répondez pas. Restez aussi lamentablement inerte que possible afin de revenir à Paris guéri, et bientôt. Je vous salue, avec toute mon amitié. Vinaver, trois semaines plus tôt, avait envoyé à Camus une lettre sur Les Justes , très franche et presque violente, dans laquelle il critiquait le caractère abstrait de la pièce et regrettait que Camus ne «crie plus ‘n’importe quoi’» (terme ici repris), qu’il soit devenu un «phare». Camus lui avait répondu qu’il sentait bien «la responsabilité qui [le] ligote», mais que le problème datait de la guerre et qu’il en viendrait bientôt à bout. Vinaver développe alors l’idée d’engagement impossible . Lire la suite de l'article de Simon Chemama sur laviedesidees.fr…

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