Université de Gabès
Institut Supérieur des Langues de Gabès
Et
Unité de Recherche en Littérature, Discours et Civilisation (UR11ES62)
Colloque international
« Albert Camus et les écritures méditerranéennes »
28-29 février 2013
A la question: «Que croyez-vous que les critiques français aient négligé dans votre œuvre?», Camus répond dans sa dernière interview: «La part obscure, ce qu’il y a d’aveugle et d’instinctif en moi. La critique française s’intéresse d’abord aux idées.» [1] Cette «part obscure» ne serait pas seulement à rechercher à la lumière de quelques schémas de pensée (absurde, révolté, solidarité) mais plutôt dans un attachement charnel à la Méditerranée. La répugnance de Camus envers un romantisme facile accrédite cette volonté de privilégier le moment présent contre un «ailleurs» incertain, cette adhésion intime à l’espace d’une beauté ressentie, vécue et exprimée dans toute sa force imaginante et cet élan artistique qui risque de conduire parfois à l’idéalisation. Dans un poème qui faisait référence au Cimetière marin de Paul Valéry (1920), Camus avait en octobre 1933 rendu un premier hommage à la Méditerranée. Ce poème est un hymne à la Méditerranée, dont la teneur, la forme, la visée et la maturité sont sensiblement différentes de l’écriture en prose. La thématique et la tonalité trahissent clairement l’ambition de l’auteur de célébrer la Méditerranée, non seulement comme lieu physique propice à la jouissance, mais aussi comme scène millénaire que l’Histoire et la culture ont nourrie et élevée au rang de mythe universel.
La Méditerranée fait partie de l’imagerie camusienne depuis l’enfance. Avec le soleil et les pierres, les couleurs, les parfums et les bruits, elle compose le décor familier de Camus. Pour avoir grandi dans leur compagnie, il en est venu spontanément à voir en eux les symboles privilégiés d’un style de vie, d’une civilisation, d’une patrie. Sa Méditerranée n’est pas celle des conquérants, celle des César ou des Mussolini [2] , mais celle de la joie, du goût de la vie, qui a su favoriser «la civilisation, la vraie, celle qui fait passer la vérité avant la fable, la vie avant le rêve» [3] . Bien avant «la pensée de midi» de L’Homme révolté , la Méditerranée figure le ralliement des hommes qui «proclament leur attachement à ces quelques biens périssables et essentiels qui donnent un sens à notre vie: mer, soleil et femmes dans la lumière» [4] . On peut rappeler à cet égard les nuances que Roland Barthes apporta, en y découvrant un puissant lyrisme, à son analyse de «l’écriture blanche» de L’Etranger .
La Méditerranée sert de cadre à ce que R.-M Albérès appelle un «paganisme poétique moderne», dont la cérémonie typique est le bain, «devenu pour Camus le vrai mystère humain, un mystère charnel où se consomment les seules noces possibles entre l’homme et le monde.» [5] Domaine de l’acquiescement, la mer représente une valeur positive: se baigner, c’est s’approcher au plus près du «monde», ne faire qu’un avec lui. Retour aux origines ou fusion dans l’élémentaire, bain veut dire jouissance et communion. Mais si la Méditerranée fait partie du jardin originel de Camus, elle conduit aussi à sa chute, à son exil. Elle séduit en surface mais condamne en profondeur. Il faut ramener à la mer, à laquelle elle appartient d’abord, littéralement, la métaphore générale par laquelle Camus désigne, à la fin de l’Envers et l’Endroit son amour et son désespoir de vivre. La mer, lieu symbolique du bonheur, sera aussi le lieu du combat et du naufrage, le premier berceau mais également le dernier linceul, celui du retour aux eaux originelles et au silence primitif. La Méditerranée, beaucoup plus qu’un simple ornement esthétique, est élevée au niveau de l’éthique. Cette tension éthique qui allie paradoxalement consentement et refus, jouissance et souffrance, inspiration et quête mortelle, reprend le précepte d’Héraclite («L’exaltante alliance des contraires, moteur indispensable à produire l’harmonie»)
La Méditerranée véhicule un mode d’écriture, à travers lequel Camus cherche à renouer, par la méditation lyrique ou la fulgurance aphoristique, avec «les raisons d’aimer que notre siècle a perdues» (Camus, Actuelles ). Cette démarche de poète – rappelons l’admiration qu’il éprouvait pour René Char et la «paternité» que recherchait Jean Sénac en la personne et l’écriture de Camus - peut s’exprimer en un débordement stylistique, rythmes, métaphores et sonorités, ainsi qu’en l’usage – dans Les Carnets par exemple – de formes fragmentaires traduisant le souci, dans une certaine tradition présocratique, de réconcilier poésie et pensée : «On ne pense que par images» (Camus, Carnets )
Certaines questions pourraient orienter notre lecture:
-style méditerranéen de même que des chercheurs ont tenté de trouver une «africanité» dans l’usage du latin chez saint Augustin, peut-on déceler chez Camus une langue et des styles méditerranéens?
-la symbolique de la Méditerranée - peut-il exister des «valeurs méditerranéennes» telles que Camus cherchait à les promouvoir dans la revue Empédocle? Cette question concerne aussi bien les domaines esthétique, éthique et politique.
- inspirations méditerranéennes «Il existe je ne sais quel composé de ciel, de terre et d'eau, variable avec chacun, qui fait notre climat.» écrit Jean Grenier, un des maîtres de Camus, dans son ouvrage Inspirations méditerranéennes . On peut se demander s’il existe dans l’œuvre de Camus un «paysage» méditerranéen qui inspire son écriture.
Comité scientifique : Pierre Garrigues, Christiane Chaulet-Achour, Kamel Haouet, Martine Job, Hélène Rufat, Laurent Fourcaut, José Lenzini, Mustapha Trabelsi
Comité d’organisation : Abdelaziz Berrajeh, Raouda Allouche, Emna Henchi, Moez Rebai, Lassad Héni,
Délai d’envoi des propositions (un résumé et une notice biographique): avant le 30 octobre 2012 à :
pierregarrigues@yahoo.fr
mutrabelsi@gmail.com
Date limite de réponse et de confirmation : 30 novembre 2012
Remise des articles : 30 juin 2013
Publication : 2014
[1] Essais , p. 1925.
[2] «La culture indigène. La nouvelle culture méditerranéenne» (conférence faite à la «Maison de la culture» le 8 février 1937), Pl. II, p. 1324.
[3] Ibid., p. 1327.
[4] Ibid., p. 1330
[5] Présence de Camus , Nizet, 1962, p. 35.
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