À la Renaissance, sous les effets conjugués des savoirs humanistes et de la revalorisation de l’éloquence biblique, s’amorce une réflexion sur le langage littéraire en cours de rénovation. Suivant des méthodes différentes, les poètes de la Pléiade comme ceux de la Réforme s’accordent à reconnaître le rôle primordial des émotions dans la création et la réception de l’œuvre littéraire. Tandis que Du Bellay en fait «la vraie pierre de touche» de la poésie («Sache, Lecteur, que celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir, aimer, haïr, admirer, étonner, bref, qui tiendra la bride à mes affections, me tournant cà et là à son plaisir»), Calvin assigne à la langue émotionnelle et excessive des Psaumes le statut de modèle poétique: «David n’emprunte point une rhétorique fardee (comme celle des orateurs profanes)», les «gemissements continuels et affectueux», les «interruptions», qui accompagnent son discours, sont les indices d’une expression immédiate des affects. Cette conception d’un sublime sans art, qui s’inscrit dans la lignée des commentaires des Pères, donnera lieu, aux XVI e et XVII e siècles, à des tentatives poétiques originales dans le domaine spirituel et militant, où l’émotion deviendra le gage d’une voix authentique, l’instrument privilégié d’une parole agonique aussi bien que l’enjeu rhétorique d’un débat confessionnel.Ce refus de la rhétorique des passions se retrouve au XVIII e siècle dans la perspective d’une recherche de la vérité favorisant une littérature morale: la langue troublée par l’émotion est susceptible d’effets pathétiques inédits. Le langage entrecoupé, qui envahit l’écriture romanesque et dramatique, est un des aspects de cette mimesis de la passion, dont Diderot a donné la formulation extrême: «Des cris, des mots inarticulés, des voix rauques, quelques monosyllabes qui s’échappent par intervalles, je ne sais quel murmure dans la gorge, entre les dents».Cette journée-séminairese propose de réfléchir aux tentatives de rénovation de la langue littéraire à partir du critère de l’émotion, sur le double plan des spéculations théoriques et des réalisations pratiques. Au-delà des contextes et des enjeux différents, on essaiera d’examiner quels aspects de la vie psychique peuvent apparaître dans le discours, et par quels moyens la langue est susceptible de rendre compte des émotions, et de les faire partager.Programme de la journée9h00: Véronique Ferrer et Catherine Ramond (Université de Bordeaux 3), IntroductionMatinéePrésident de séance: Jean-Paul Sermain9h30: Frank Lestringant (Université Paris-Sorbonne), «La langue des émotions chez Agrippa d’Aubigné».10h00: Agnès Rees (Université de ToulouseII), «Langage des émotions et rhétorique de l’image, de Vasari à Vigenère».Discussion et Pause11h00: Véronique Ferrer (Université de Bordeaux3), «‘Parler à Dieu par zele’: la langue de la prière».11h30: Mathilde Bernard (Université Sorbonne Nouvelle-Paris3), «La langue des émotions dans les déclarations de conversion, sous le régime de l'édit de Nantes».DéjeunerAprès-midiPrésident de séance: Franck Lestringant14h30: Jean-Paul Sermain (Université Sorbonne Nouvelle-Paris3): «La rêverie: pause et silence chez Marivaux».15h00: Sophie Marchand (Université Paris-Sorbonne): «Langue des émotions et retour à l'origine: le cri de la nature dans le théâtre du XVIII e siècle».15h30: Anne Coudreuse (Université Paris13): «Émotion et détention: la langue des émotions dans quelques mémoires sur les prisons de la Révolution (Jourgniac Saint-Méard, Riouffe, Paris de l’Epinard, Mme de Duras)».16h00: Discussion et conclusionsJournée organisée par Véronique Ferrer et Catherine Ramond, Université Bordeaux 3-TELEM, dans le cadre du projet ANR "Pouvoir des arts"
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