Correspondance 1946-1964Gaston Chaissac, Jean DubuffetDATE DE PARUTION : 22/08/13 EDITEUR : Gallimard (Editions) ISBN : 978-2-07-014149-4 EAN : 9782070141494Grâce aux quatre-cent-quarante-huit lettres qui composent la correspondance échangée par Gaston Chaissac et Jean Dubuffet entre 1946 et 1964, on est à même aujourd'hui de prendre la mesure de cette relation sur laquelle on a beaucoup écrit, beaucoup glosé, souvent dans l'ignorance de ce qu'elle avait été réellement. Comment aurait-il pu en être autrement en l'absence de ce corpus, encore incomplet, mais suffisamment riche pour cerner la personnalité de ces deux hommes, en apparence, si dissemblables ? Dubuffet, qui se passionne depuis 1945 pour l'art des fous et des autodidactes, est - au moment où il découvre Chaissac - en pleine élaboration de son concept d'art brut dont il publiera le "manifeste" en 1949.Il se montre aussitôt ébranlé par l'originalité de cet inconnu, rencontré grâce à son ami Jean Paulhan, croyant avoir trouvé en lui un spécimen de l'homme du commun. Chaissac, qui, de sa Vendée conservatrice, lui envoie des lettres et des oeuvres dans lesquelles abondent la trouvaille formelle, le rapprochement imprévu des formes et des mots, l'audace et la spontanéité, a de son côté écrit et publié en 1946 une page sur "La peinture rustique moderne", proche des préoccupations de celui qui va devenir son ami.Dubuffet continuera cependant d'associer Chaissac à l'art brut, lequel se jouera de cette étiquette aussi souvent qu'il s'en agacera, comme le montrent certaines lettres publiées ici. Stratège fin et ombrageux, s'interrogeant sans cesse sur le bien-fondé de ses entreprises, Chaissac est tout sauf un autodidacte et un naïf. Si cette correspondance, véritable dialogue d'homme à homme, de créateur à créateur, souligne les différences d'origine, de formation, de manière de vivre des deux artistes, elle laisse à voir également tout ce qui les réunit.Un même goût pour la transgression, qu'elle soit d'ordre verbal ou pictural, un même rejet de la banalité et du tout-prêt, un même esprit inventif et expérimentateur qui ne trouve à s'épanouir que dans la création.* * *R. Sorin a consacré un billet à ce livre sur son blog, sous le titre "Chaissac, le cordonnier mirobolant" :"Déjà accablante, la rentrée littéraire me pend au nez et c’est sans le moindre enthousiasme que je fais un tri rapide entre les programmes, les jeux d’épreuves et les livres achevés dont les zéditeurs ont l’amabilité de me gaver. Où trouver un peu d’air, un frémissement de fraîcheur hors de ce torrent de mots qui, comme chaque année, nous tombe dessus? La réponse est toute trouvée: lisons Gaston Chaissac, cordonnier devenu peintre et écrivain.Je l’ai découvert grâce à Jean Paulhan qui, dans une collection à tout petits tirages (Métamorphoses, Gallimard) eut le culot de publier en 1951 son Hippobosque au bocage . Depuis, ses objets peints, collages, dessins, ont atteint une sacrée cote et on a multiplié les publications.En tête, il faut se procurer l’ouvrage de Henry-Claude Cousseau, paru chez Jacques Damase en 1981, L’Œuvre graphique de Gaston Chaissac, 1910.1964 . On y trouve un bel éloge de l’artiste par Benjamin Péret, écrit en 1958, dont je ne citerai que quelques lignes, comme amuse-gueule:« Pour cet homme isolé au milieu de paysans plus ou moins hostiles, en tout cas goguenards et rétrogrades, la chenille devient papillon sans avoir à subir l’épreuve de la chrysalide. Cette chenille peut, au demeurant, revêtir n’importe quelle forme, du balai hors d’usage à la cafetière percée en passant par la racine ou l’épluchure, le papillon n’en acquerra pas moins un éclat souvent inversement proportionnel à la misère de la chenille.»ET COMME ÇA TOMBE A PICEn juste retour des choses, Claire Paulhan, la petite-fille de Jean, fait paraître un volume le lettres de Chaissac à Paulhan, annoté et présenté par Dominique Brunet et Josette-Yolande Rasle. Disons que c’est une merveille d’édition. Chez Chaissac le dessin n’est jamais éloigné de l’écriture qui, elle-même, a une qualité graphique inépuisable. D’où un travail de maquette aux grands oignons (pour le distinguer des «petits » ).Il est temps de picorer dans cette correspondance si goûteuse qui va de 1943 à 1963.Elle vaut tous les manifestes des peintres jeunes ou vieux qui, dans la période charnière de ces années-là, allèrent de la figuration à l’abstraction et retour. Elle annonce des pratiques picturales récentes ( street art et autres combines). Surtout, elle exprime une clairvoyance presque dépourvue de toute impureté égotiste qui mérite le respect.Alors citons: «J’en suis à révasser au sujet d’une moaïque (effemère) en haricots secs d’espèces et de couleurs variées. Et je vois cette mosaïque dans une exposition, à plat dans une vitrine. On fait bien des tableaux vivants pour le plaisir d’un moment alors pourquoi ne pas faire de la mosaïque en haricots, d’autant plus qu’ils ne seraient pas perdus pour ça.» «Selong une commère du cru, je serai un con et mes dessins n’ont ni rime ni raison et elle ne voudrait ni de mes nippes ni de ma soupe aux orthies. Impossible vraiment de peindre futuriste sans être en bute avec la meute et c’est à se demander si des l’aurore du monde les artistes ne furent pas contraint à la mystique que pour se faire admettre.»«J’ai peint de tableaux comme ça pour qu’il en existe dès comme ça.»EN EFFET, C'EST DUBUFFETOutre l’orthographe guère académique de ces écrits, un tel propos avait de quoi séduire Jean Dubuffet. Par un heureux hasard, je me suis pointé place Saint-Sulpice au Marché de la Poésie qui, du 6 au 9 juin, a réuni une grosse poignée d’irréductibles.Claire Tiévant en fait partie, avec Lettres Vives. Elle a publié une belle correspondance de Dubuffet et Pierre Bettencourt, Poirer le papillon (voir ci-dessus la métaphore filée par Péret) et réédité le jubilatoire Plu kifekler moinkon nivoua du principal défenseur de l’Art brut.Son catalogue défend les écrits de Dominique Sampiero, Marcel Moreau, Claude-Louis Combet ou Albert Caraco. Du premier choix.A quelques mètres de son stand, je retrouve un rescapé (son fonds, distribué par les Belles Lettres avait entièrement cramé). Jean-Pierre Sintive des Editions Unes a passé la main. Son successeur annonce trois titres dont Issue de retour de Jean-Louis Giovannoni, et Tréfond du temps , de Maurice Benhamou, des fidèles de Unes. Quant à Sintive, il a préparé un livre d’hommage à Gilbert Pastor, Les apparitions de la matière . C’est encore un peintre inspiré, qui attend son heure (il est né en 1932) et qu’accompagnent des poètes comme Bernard Noël, Giovannoni et Christian Gabrielle Guez Ricord (expulsé de la Villa Médicis par Balthus et dont je conserve pieusement un livre, L’Annoncée , paru en 1983 aux Editions Spectres Familiers).Un peu plus loin c’est Fata Morgana qui fêtera l’an prochain son cinquantième anniversaire. Et d'autres qui tiennent le coup, traduisent, animent, malgré tout.BONUS Le Musée de la Poste présente l’exposition «Chaissac-Dubuffet, entre plume et pinceau», du 22 mai au 28 septembre. Elle a comme fil conducteur la correspondance croisée Chaissac-Dubuffet qui ne paraîtra chez Gallimard qu’en juillet 2013, pour les vacances. En attendant lisons celle des Editions Claire Paulhan.Musée de la Poste , 36 Boulevard de Vaugirard, 75015 Paris. Tél.: 01 42 79 24 24"
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