Spectacle et allégorie du Moyen-âge à nos jours
Revue d’Histoire du Théâtre
Numéro thématique
Coordonné par Martial Poirson
L’histoire du spectacle n’a pas ménagé la place qui lui revient à l’allégorie dramatique, personnification d’un concept abstrait dont l’invention remonte, au moins, à Aristophane. Ce «théâtre des idées», selon l’expression d’Antoine Vitez, naît pour le domaine français dès le Moyen-âge au sein du théâtre sacré; puis il apparaît dans le théâtre comique entre le XVI e et le XVIII e siècles; enfin, on le retrouve jusque dans le théâtre militant au cours du XX e siècle et il semble prendre un nouvel essor au sein des nouvelles formes scéniques contemporaines depuis le début du XXI e siècle… Pourtant, fort d’une lecture biaisée de théoriciens tels que Walter Benjamin ou Michel Foucault, on croit volontiers l’allégorie oubliée avec l’entrée dans la modernité, liquidée avec l’héritage baroque, qui l’avait placée au cœur de sa poétique, perdue de vue depuis la fin des mystères et du théâtre sacré, à l’aube du classicisme français. N’ayant pas survécu au déclin d’une certaine théologie médiévale, qui était parvenue à instaurer une relation ontologique ou pour le moins, homologique entre l’idée et son incarnation, elle serait entrée dans un long sommeil dogmatique dont l’époque contemporaine tenterait timidement et sans grand succès de la sortir. Seul le XX e siècle aurait su l’en tirer, d’abord avec le théâtre symboliste et expressionniste (Maeterlinck, Claudel, Strindberg), puis, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, avec le théâtre politique, en particulier allemand, soviétique et anglais ( Agit Prop; Bread and Puppet ). Or cette idée convenue, encore trop largement partagée, occulte allègrement la survivance de l’allégorie dans le théâtre sacré (en particulier l’ auto sacramental espagnol, notamment chez Calderòn, dont l’influence sur la scène française est fondamentale), ainsi que sa profonde fécondité dans le théâtre profane au cours des périodes moderne et contemporaine. C’est cette idée reçue que nous voudrions remettre en cause par ce volume collectif, fruit de travaux récents issus de divers horizons et de diverses disciplines, en exhumant un répertoire assez largement oublié, d’une richesse et d’une variété peu communes, susceptible de nourrir une conception renouvelée des arts de la scène.
«Genre mineur» ou plutôt «mauvais genre» pratiqué aux marges de l’institution, le théâtre d’allégorie, souvent parodique, satirique, parfois même subversif, procède volontiers au détournement du répertoire consacré et des formes canonisées, qu’elles soient lyriques ou dramatiques. Il se saisit de l’actualité sociale et politique prise sur le vif comme des discours de savoir pour les mettre en jugement, voire en procès, au sens le plus littéral du terme, sur une scène théâtrale constituée en espace public délibératif, voire en espace public oppositionnel. Il propose donc moins, selon l’hypothèse défendue dans ce volume, l’évocation d’autres mondes possibles, comme dans les formes allégoriques romanesques, discursives ou picturales qui lui sont contemporaines, que le réexamen critique ou pour le moins distancié du monde réel, de ses conditions sociales, culturelles et politiques d’existence, considérées à travers un dispositif de prisme déformant. Les pièces allégoriques se font donc l’écho, non seulement d’événements précis, historiquement datés et clairement identifiables par le public, mais encore d’un certain état de la conscience collective et de débats idéologiques mis en examen au moyen d’un solide système sémiologique à entrées multiples reposant sur différentes lectures à clefs. Il existerait donc une politique de l’allégorie dramatique, au sens le plus large du terme, dont on peut suivre les redéploiements esthétiques et idéologiques à travers différentes configurations historiques.
Loin de toute forme de théâtre à thèse, le répertoire allégorique repose le plus souvent sur une écriture au second degré propice au métathéâtre à vocation autoréflexive. Il révoque en doute toute illusion consentie de la part du public, renégociant sans cesse le pacte de fiction ou d’illusion consentie avec le spectateur. Parfaitement inscrit dans l’esthétique et dans les grands courants idéologies de son temps, il relève d’une écriture de la discontinuité, de la fragmentation, du mélange des genres et des modes d’expression, producteur d’œuvres hybrides (échappant, dans une large mesure, aux règles canoniques) caractéristiques des «arts mêlés» (mariant de façon tantôt harmonieuse, tantôt burlesque déclamation, chant, danse, musique, effets spéciaux) et bien souvent, d’un certain type de théâtre musical ou chorégraphique.
Le numéro spécial concentrera notamment, mais pas exclusivement, l’analyse de l’allégorie dramatique sur les questions suivantes :
Rapport aux autres formes d’expression allégorique, qu’elles servent de modèle et de source d’inspiration, comme la peinture, la rhétorique, ou plus récemment le cinéma, ou de partenaire de la création, comme la danse, la pantomime, la marionnette ou la musique;
Dispositif esthétique et idéologique de l’allégorie incarnée;
Poétique et enjeux théoriques de ses régimes d’illusion et de créance;
Enjeux des discours de savoir véhiculés, transposés, réappropriés, voire occultés;
Conditions de production, de mise en voix, en corps, en scène, et pratiques de représentation;
Conditions de réception, d’interprétation, modes de lecture, de détournement, de réappropriation par le spectateur ou le lecteur.
Question de la mise en scène actuelle du répertoire du théâtre d’allégorie.
Prière de faire parvenir vos propositions de communication, comprenant un titre, une page de présentation et votre affiliation institutionnelle, avant le 30 janvier 2013 à Martial Poirson ( martial.poirson@yahoo.fr ).
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