Devoir de mémoire et pouvoir des fictions
Quand ont disparu les derniers témoins des faits dont la jeunesse devrait garder le souvenir pour n’être pas condamnée à refaire les erreurs du passé, quand la mise en mots de ces faits risque le confinement dans les écrits d’historiens dont la scientificité n’a d’égale que leur peu d’audience, sur quoi peut-on tabler pour faire connaitre aux enfants et aux adolescents ces événements et ces actions qui ne peuvent pas tomber dans l’oubli sous peine de compromettre l’avenir de nos fragiles démocraties? On peut tabler sur les fictions. Sur les impressionnantes et redoutables fictions qui donnent à connaitre le passé par l’intermédiaire de personnages pris dans les tourmentes de l’Histoire.
Parce qu’elles sont impressionnantes — leur impact sur les jeunes esprits pouvant être fort puissant —, et parce qu’elles sont redoutables — le talent du créateur, le point de vue qu’il adopte et l’idéologie qui sous-tend ce point de vue pouvant inhiber le sens critique du lecteur ou du spectateur —, les fictions historiques devraient être un objet d’enseignement. Devraient l’être en tout cas celles qui font écho aux tragédies où ont été tantôt mises en péril, tantôt sauvegardées des valeurs que promeut aujourd’hui l’école: la responsabilité du citoyen, la démocratie, la solidarité, le respect de la diversité des opinions, l’ouverture aux autres cultures (Décret du Parlement de la Communauté française de Belgique sur les missions de l’école: 24 juillet 1997).
Au cours de la scolarité obligatoire, l’enseignement des savoirs relatifs aux fictions historiques relève de la discipline «français» et de la discipline «histoire». Cet enseignement est infirme sans leur collaboration, il est erratique sans un double regard sur ce discours tressant l’avéré avec le vraisemblable et traitant de l’homme singulier à la recherche d’une issue dans une situation où les équilibres communautaires vacillent, où s’exacerbent les passions collectives, où les forces économiques, sociales et politiques pèsent d’un poids terrible sur sa liberté d’action.
Collaboration, disons-nous, interdisciplinarité véritable et non juxtaposition de prises en charge disciplinaires: un objet unique se trouve éclairé par des spécialistes dont les ancrages scientifiques diffèrent, mais qui sont pareillement susceptibles de s’intéresser à une mise en intrigue de faits où le particulier et l’imaginaire se mêlent inextricablement au collectif et à l’attesté pour forger une mémoire du passé.
Le discours mémoriel, on l’a dit et répété, est présentification du passé, mise en perspective de ce qui fut à partir d’une conscience —toujours défaillante — de ce qui est et d’une prévision — toujours incertaine — de ce qui sera. Constitutif d’une identité communautaire, le discours mémoriel est nôtre, et son horizon de ténèbres est l’exclusion de l’autre. Mais cet horizon s’illumine dans la conviction de l’universalité des «ils» (Todorov, 1998: 17), dans la pensée d’une commune finitude et d’une commune vulnérabilité ouvrant «la dimension d’un vivre-avec qui ne se laisse pas replier sur la communauté des frères, des amis, des concitoyens, des coreligionnaires ou tout autre communauté définie à l’avance» (Crépon, 2011: 51). Avec cet horizon de lumière, la mémoire est humanisante et le devoir de mémoire s’accomplit en sauvant de l’oubli tous ceux dont la condition humaine s’est trouvée abolie dans la désignation et, souvent, la stigmatisation d’une appartenance quelconque. Puisque le terme «humanités» est heureusement demeuré pour désigner le cursus de l’enseignement obligatoire, il conviendrait de lui rendre un lustre terni par une regrettable technisation des savoirs historiques et littéraires et de doter les élèves de compétences en privilégiant des supports d’apprentissage qui relèvent du devoir de mémoire, c’est-à-dire, pour ce qui nous réunira, de ce dont les enfants et les adolescents d’aujourd’hui, les adultes de demain doivent se souvenir pour s’épanouir en humanité.
Le colloque qui se tiendra à l’Universitéde Liège du 2 au 3 mai 2013 rassemblera donc des historiens et des littéraires, didacticiens ou non, qui se sentent pareillement concernés par les versions de l’histoire que véhiculent les fictions historiques. Concernés parce que ces versions, toujours partielles, parfois partiales, ces versions qui satisfont la curiosité pour ce qui a été en flattant le gout pour les constructions narratives entrainantes, sont, faute de mise en garde, prises pour argent comptant et se retrouvent, en maints esprits, parées des blandices de l’historicité. Concernés également parce que les fictions historiques, où la recherche de l’effet esthétique prime celle de la vérité, sauvent malgré tout de l’oubli des faits qu’une actualité tape-à-l’œil risque d’y précipiter.
Toutes les propositions de communication seront retenues à deux conditions. La première est qu’elles portent sur la fiction historique en général, une fiction historique en particulier ou, plus particulièrement encore, un fragment d’une telle fiction ; la seconde est qu’elles tiennent compte du souci de garder vif dans la mémoire des enfants ou des adolescents le souvenir de faits qui ont mis à mal ou mis à l’honneur, d’actions qui ont bafoué ou exalté les valeurs dont l’école s’attache à pourvoir les élèves.
Notre objectif n’est pas de réunir, exclusivement ou prioritairement, soit des chercheurs en didactique du français ou de l’histoire qui présenteraient leurs travaux sur l’étude de la fiction historique, soit des spécialistes de cette dernière qui n’auraient cure des retombées de leurs investigations sur l’enseignement. Nous espérons rassembler des personnes qui, quoique disposées à écouter les uns ou les autres, estiment qu’il ne faut pas leur laisser le monopole d’un discours sur un des principaux vecteurs de mémoire qui soit.
Les propositions de communication (titre, identification du communicant et résumé d’une page) seront reçues jusqu’au 31 décembre 2012. Chaque intervenant disposera d’un temps de parole de trente minutes, suivi de quinze minutes de discussion.
Comité organisateur
Jean-Louis Dumortier (ULg)
Veronica Granata (ULg)
Philippe Raxhon (ULg)
Julien Van Beveren (ULg)
Comité scientifique
Paul Aron (Université libre de Bruxelles)
Roger Chartier (Collège de France)
Luciano Curreri (Université de Liège)
Daniel Delbrassine (Université de Liège)
Jean-Louis Dufays (Université catholique de Louvain)
Jean-Louis Dumortier (Université de Liège)
Isabelle Durand-Le Guern (Université de Rennes)
Charles Heimberg (Université de Genève)
Jean-Louis Jadoulle (Université de Liège)
Joël Kotek (Université libre de Bruxelles)
Brigitte Louichon (Université de Bordeaux IV)
Marie-Christine Pollet (Université libre de Bruxelles)
Philippe Raxhon (Université de Liège)
Christophe Ronveaux (Université de Genève)
Sarah Sindaco (Université de Gand)
Xavier Tabet (Université de Paris VIII)
Kristine Vanden Berghe (Université de Liège)
Myriam Watthée-Delmotte (Université catholique de Louvain)
Bibliographie
Sur le récit d’historien et le roman historique
Livres, chapitres de livres ou articles parus dans des livres
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Sur la didactique du roman historique et du récit d’historien
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