« Où est le vers ? dans la mesure, dans la rime — ou dans l’idée ? » Cette citation des Faux Saulniers, que Hisashi Mizuno place très opportunément en tête de son étude, montre bien que Nerval n’a cessé de s’interroger sur la dichotomie traditionnellement admise entre le vers et la prose. Étranger cependant à toute déclaration doctrinale, c’est dans la pratique que s’est forgée chez lui la réflexion qui nourrira la révolution poétique de la deuxième moitié du xixe siècle.À l’école de la traduction des poètes allemandsSpécificité du vers & de la proseTraducteur né (Horace, Moratín, Richter, Uhland, Goethe, Hoffmann, Heine, Kotzebue), Nerval s’est fait connaître à vingt ans comme traducteur du premier Faust de Goethe. Comment se situe‑t‑il dans le vieux dilemme entre fidélité à la lettre et fidélité à l’esprit par rapport à ses prédécesseurs Stapfer et Sainte‑Aulaire ? Stapfer, à qui l’on peut reprocher une trop grande littéralité, a su faire la part entre le récitatif, qu’il restitue en prose, et le lyrique, qu’il restitue en vers. C’est dans cette perspective que s’inscrit la traduction de Nerval, associant vers et prose. Mais on constate qu’entre ses trois traductions (1827, 1835 et 1840) ce choix se modifie. Par exemple, le « Chœur des disciples » est en vers en 1827, en prose en 1835. H. Mizuno analyse la question à partir de deux exemples précis, le « Chœur des anges » et le « Chœur des disciples » du Prologue de Faust. Pour Nerval, le choix du vers ou de la prose n’est pas seulement fonction du contenu dramatique ou lyrique, mais aussi et surtout de la charge émotionnelle du texte à restituer.Le génie d’une langueEn faisant le choix de ne traduire que ce qui lui paraissait compréhensible pour un esprit français, Sainte‑Aulaire passait à côté de la spécificité du génie allemand et de son goût pour l’étrange. Ce ne sera pas le choix de Nerval, qui découvre au contraire dans l’étrangeté de certaines scènes de Faust une véritable correspondance avec son propre penchant à la rêverie, que lui confirmeront la lecture de Madame de Staël et surtout la fréquentation de Heine. Traduire les poètes allemands, c’est donc pour Nerval découvrir et cautionner son propre penchant vers la « fantaisie ».Traduction, imitation, créationLe germanisme ainsi découvert devient chez Nerval un véritable état fusionnel, source de création poétique où se perd la frontière entre traduction, imitation et création, et où l’identification aux poètes allemands pourrait passer pour
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