La répétition lexicale, approche discursive et pragmatique
V. Magri (Université Nice Sophia-Antipolis, UMR 7320 Bases, Corpus et Langage ) et
A. Rabatel Université Claude Bernard, Lyon 1 (éds.)
Considérée comme une faute dans l’histoire de la rhétorique et dans le discours des grammairiens, la répétition est décriée comme pléonasme ou tautologie quand elle associe un caractérisant purement redondant par rapport au caractérisé et dévalorisée quand elle est vue comme source d’un effet de sens négatif, la redondance. L’approche énonciative et pragmatique des figures [1] s’éloigne évidemment de cette conception référentialiste des mots et du discours pour inscrire les figures dans un processus par lequel les locuteurs ou les énonciateurs ajustent leur rapport cognitif et intersubjectif aux mots, à la réalité et aux allocutaires. Dans le cadre théorique de l’approche énonciativo-pragmatique pourra être amorcée une mise en ordre du fonctionnement syntaxique et sémantique des formes de la répétition.
Afin d’assurer la cohérence des études proposées, on s’intéressera uniquement aux configurations où il y a reprise d’un même matériel formel. Les répétitions lexicales sont définies strictement comme reprises explicites d’un segment linguistique, quel que soit l’empan de ce segment linguistique, depuis l’unité lexicale jusqu’à la séquence textuelle, en passant par les unités intermédiaires du segment phrastique et de la phrase [2] . Seront de fait éludées les répétitions de structures syntaxiques, qui induisent des parallélismes structurels et rythmiques, parce qu’elles se situent à un niveau infralexical.
La variation du signifiant même si le signifié ou le référent reste identique est un motif d’exclusion des figures de l’expolition ou de la paraphrase. En revanche, les configurations où le signifiant reste identique se situent au cœur de ce projet: les figures de l’anaphore [3] , de l’épiphore [4] , de l’épizeuxe [5] , de l’antanaclase [6] - pourront par exemple être proposées à l’analyse, ou tout autre procédé de reprise d’un même matériel lexical. Les exemples sont ici empruntés au discours littéraire français mais les phénomènes de répétitions lexicales pourront être envisagés dans tout type de discours, médiatique, politique, ou autre aussi bien qu’à d’autres sphères langagières.
La répétition lexicale sera envisagée en particulier dans son rapport à la textualité, qui se constitue sur le binôme identité – variation ou altérité. La seconde occurrence, dans le cas de la répétition, ne vient pas se substituer à la précédente mais s’y ajoute pour donner de l’épaisseur aux mots. La répétition voisine alors avec le processus de reformulation qui articule un avant-texte auquel il renvoie anaphoriquement et une expression qui peut être identique formellement mais qui fonctionne comme expression nouvelle pointée comme aboutissement d’un processus discursif.
Les répétitions jouent sur la reprise du même - on rejoint le cas de la réduplication stricto sensu , définie comme «répétition littérale, immédiate et iso-fonctionnelle d’un quelconque segment textuel» [7] - mais l’inscription dans la chaîne linéaire du texte fait que la seconde occurrence est forcément différente de la précédente: le signifié peut subir une altération de sens en relation avec le cotexte. La problématique de la répétition réside dans ce paradoxe d’une reprise à l’identique, en surface, qui la désigne cependant comme fait d’hétérogénéité énonciative modalisant un premier énoncé ou le mettant en perspective.
La répétition lexicale s’appréciera à l’intérieur d’une unité de discours, depuis la phrase jusqu’à une œuvre tout entière. Pour les grands corpus, l’outil informatique pourra être utilement proposé pour repérer les répétitions comme itérations, au sens de François Rastier [8] .
Trois axes sont proposés à la réflexion:
Répétitions lexicales et configurations syntaxiques
Les répétitions s’inscrivent dans la linéarité du texte tout en instaurant une discontinuité apparente puisqu’elles en freinent la lecture cursive. C’est le fonctionnement sémantico-syntaxique des répétitions qui pourra être interrogé. Les constructions syntaxiques variées des répétitions sont à corréler à des implications sémantiques diverses. Les répétitions sont à appréhender comme des formes-sens. On pourra évaluer en les comparant diverses réalisations de l’épizeuxe, en particulierdes structures comme, entre autres, «il était d’une paresse, mais d’une incurable paresse»; «il avait des principes, enfin de grands principes»; «si le magnifique poème de cet amour secret devait avoir une fin, que dis-je une fin» (Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées ).
Répétitions lexicales et points de vue
L’analyse de ces variations formelles et sémantiques pourra être située dans le cadre énonciatif théorique des postures énonciatives [9] et menée à la lumière de l’hypothèse des points de vue en confrontation. La dimension pragmatique et interactionnelle des répétitions sera ici envisagée, comme un lieu où se disent les rapports de force, les négociations discursives, que le discours se construise en co-énonciation, en sur-énonciation ou en sous-énonciation, que les points de vue se cumulent ou se contredisent. Le calcul des instances sources des points de vue et de leur prise en charge pourra contribuer à éclairer les formes de répétitions.
Répétitions lexicales et construction du sens
Les répétitions posent la question du sens. La répétition qui se constitue par la tension entre le même et le différent induit que le sens n’est pas réductible à un signifié unique mais se conçoit comme la somme de signifiés successifs, non autonomes et dont la concaténation révèle la complémentarité, ou comme une succession de points de vue sur les objets du discours. La dimension cognitive des figures de répétition permettra de les envisager comme procédés d’ajustement du dire aux choses, au dit lorsque se manifeste l’auto-répétition, à la doxa, au discours des autres. Les concepts d’hétéro-dialogisme et d’auto-dialogisme peuvent être exploités. Des affinités peuvent-elles être trouvées entre les mots répétés et les mots-clés d’un imaginaire? «Répéter permet de créer des pics énergétiques dans la linéarité de l’écriture» (S. Abiker).
Modalités
Les propositions d'articles (avec résumé environ 2500 signes dont espaces) devront être envoyées à :
Veronique.Magri@unice.fr
alain.rabatel@univ-lyon1.fr
Calendrier
Envoi des propositions aux éditeursscientifiques; date limite le 15 mai 2013
Signification aux auteurs: 30 juin 2013
Journée d'étude : 22 novembre 2013
Remise des textes aux éditeurs pour relecture interne en janvier 2014
Remise des textes à la revue pour expertises externes mars 2014
Parution deuxième semestre 2014 , revue SEMEN
Bibliographie sélective
Abiker S. (2008). L’écho paradoxal. Étude stylistique de la répétition dans les récits brefs en vers, XIIe-XIVe siècles. http://theses.edel.univ-poitiers.fr/theses/2008/Abiker-Severine/2008-Abiker-Severine-These.pdf
Bonhomme M. (2005). Pragmatique des figures du discours , Paris, Champion.
Charolles M. (1997). «Spécialisation des marqueurs et spécificité des opérations de reformulation, de dénomination et de rectification» in Bange P. L’analyse des interactions verbales: la dame de Caluire. Centre de recherches linguistiques et sémiologiques (Lyon), p. 99-122.
Fontaine N. (1990). De la répétition dans les textes littéraires. Situation historique et approche structurale . Thèse, Tours.
Frédéric M. (1985). La répétition. Étude linguistique et rhétorique , Tübingen, Max Niemeyer Verlag.
Magri V. (2012). «Reformulation et textualité», 3 e Congrès mondial de linguistique française, vol. 1, p. 1143-1159, http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20120100024 .
Molinié G. (1991). Éléments de stylistique française , PUF.
Rabatel A. (2012). «Positions, positionnements et postures de l’énonciateur», Tranel , 56, p.23-42.
Rabatel Alain (2013). «De l’intérêt des postures énonciatives (co-énonciation, sous-énonciation, sur-énonciation) pour l’interprétation des textes et pour la gestion et l’analyse des interactions didactiques», Cultura y Educación .
Rabatel A. (2008a). Homo narran s, Limoges, Lambert-Lucas.
Rabatel A. (2008b). Figures et point de vue. Langue Française 160
Rastier F. (1987). Sémantique interprétative, Paris, PUF.
Répétition, Altération, Reformulation (2000). : colloque international 22-24 juin 1998 , Presses Universitaires de Franche-Comté.
Richard E. (2004). La répétition, syntaxe et interprétation , L’Information grammaticale , 100, p. 53-54.
Schuwer M., Le Bot M.-Cl., Richard É. (2008). Pragmatique de la reformulation , PUR.
Semen, 12 Répétition, altération, reformulation dans les textes et discours. http://semen.revues.org/1860 .
Watine M.-A. (2012). «La réduplication: une interprétation dialogique», in Les Figures à l’épreuve du discours. Dialogisme et polyphonie , PUPS.
[1] Voir M. Bonhomme, Pragmatique des figures du discours , Paris, Champion, 2005 et A. Rabatel (dir.), Figures et points de vue , Langue française , 160, 2008.
[2] Voir A. Rabatel, Homo narrans , sur la confection de l’arche d’alliance.
[3] «Rome, l’unique objet de mon ressentiment! Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant!» (Corneille, Horace ).
[4] «Et toujours ce parfum de foin coupé qui venait de Bérénice qui résumait Bérénice, qui le pénétrait de Bérénice» (Aragon, Aurélien ).
[5] «La vie est belle, belle, belle! Oh! dis-le moi» (Éluard, Dialogue des inutiles ).
[6] «Un père en punissant, Madame, est toujours père» (Racine, Phèdre )».
[7] M.-A. Watine, «La réduplication: une interprétation dialogique» in Les Figures à l’épreuve du discours , p. 151.
[8] F. Rastier, Sémantique interprétative , Paris, PUF , p. 93 sq.
[9] A. Rabatel, «Positions, positionnements et postures de l’énonciateur», Tranel, 56, 2012, p.23-42.
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