Nature, naturel: ce sont là des notions essentielles à l’économie du Discours de la Servitude Volontaire , mais comme toutes les notions qui permettent au Discours d’articuler ses positions, elles sont traversées de clivages et de tensions. Peut-on opposer «la nature» («la ministre de Dieu, la gouvernante des hommes», avec ses ordonnances) et «le naturel» (la disposition qui est en nous l’effet de ces ordonnances de la nature)? Et ce naturel lui-même, comment le comprendre? Tantôt La Boétie semble l’assimiler à la pureté de l’état de notre naissance, qui comprend le goût «natif» de la liberté, tantôt au contraire c’est parce que nous confondons notre «naturel» et notre «naissance» que nous sommes si facilement accoutumés à servir, tantôt enfin cette puissance «naïfve» semble réservée à quelques «biens-nés» seuls capables de se souvenir de leur liberté naturelle.Nature et naturel semblent ainsi dessiner les contours d’une puissance enfouie, précaire, mais qui constitue pourtant la liberté en véritable patrimoine humain: en s’interrogeant sur les paradoxes constitutifs de ces conceptions de la nature et du naturel, en les rapportant à la question de la naissance et de la «naifveté», on touche à certains problèmes qui sont à la racine même de l’avènement de la modernité. Peut-on fonder la liberté dans une puissance naturelle? Que signifie une «nature» que la coutume peut corrompre et remplacer? Les équivoques du «naturel» ne constituent-ils pas au contraire l’indice d’une inflexion de l’idée de nature humaine vers l’idée de «condition humaine»? Ces questions complexes rendent nécessaire une interrogation sur la place de La Boétie dans le naturalisme de son siècle: entre l’état de «pure nature» que les thomistes du xvi e siècle opposent au volontarisme des Réformés et l’état de nature que le jusnaturalisme moderne ne cesse d’invoquer du xvii e au xviii e siècle, quelle place tient La Boétie et son analyse de la «dénaturation»? On touche là aux enjeux juridiques, théologiques et politiques qui permettent de saisir les questions nouées par le Discours dans le temps long de leur élaboration, entre Moyen Âge et Âge classique.Enfin ces questions conduisent aussi à s’interroger sur le statut même du Discours : le «bon naturel» dont La Boétie tente de dessiner les contours se présente en effet non seulement comme une condition éthique qui rend pertinente et possible l’exhortation de La Boétie à son lecteur, mais il tend aussi par là à s’ériger en condition du discours lui-même en tant que texte: comment concevoir alors ce «naturel» qui détermine l’énonciation aussi bien que de la réception du Discours ? Comment articuler la rhétorique si prégnante dans le Discours avec cette «voix qui sort du texte» dont parlait Claude Lefort? Que dit l’œuvre de La Boétie, dans son ordre propre, de la question de la «présence» dans l'écriture, si importante dans l’humanisme? Quelles leçons en tirer quant aux conditions générales de l’exercice d’une parole publique libre? Peut-il encore exister un auditoire pour une telle parole, qui tenterait de s’articuler aujourd’hui à notre «franchise naturelle», et la tâche d’une telle parole n’est-elle pas, aujourd’hui comme hier, de produire son propre auditoire?Comme les Rencontres La Boétie en ont l’habitude, il s’agira donc de saisir le Discours de la Servitude Volontaire comme carrefour de ces questions essentielles pour la culture de la Renaissance, et de les interroger, dans leurs racines historiques et dans leur prolongements modernes, au croisement des disciplines et de leurs usages.Programme :Mercredi 27 novembre10h Intervention au lycée Pré-de-Cordy à SarlatLaurent Gerbier, Marc Hosquet (SIALB): La politique est-elle naturelle?15h 30 Accueil des intervenants16h Laurent Gerbier (Tours/CESR) et Olivier Guerrier (ToulouseII/ELH)Nature et naturel: introductionI. Nature et Naturalismes autour du Discours(présidence: Pierre-François Moreau)16h 30 Marco Sgattoni (Urbino)Reflets du naturalisme hellénistique et idéalisme humaniste dans le Discours de la servitude volontaire17h 30 Didier Foucault (ToulouseII/ ELH)Décrypter les «admirables arcanes de la nature», une alternative «athéiste» à la théologie chrétienne: G. C. Vanini (1585-1619)Jeudi 28 novembreII. Enjeux politiques du Naturel(présidence: Tristan Dagron)9h 15 Mawy Bouchard (Ottawa)La Boétie sur les «naturels privilèges»: les enjeux diffus d’une publication restreinte10h 15 Raffaella Santi (Urbino)Nature, volonté et discours politique chez La Boétie et Hobbes11h 15 Pause café11h 45 André Charrak (ParisI/ IHPC)Nature et condition chez Rousseau12h 45 DéjeunerIII. Nature et résistance à la servitude(Présidence: Laurent Gerbier et Olivier Guerrier)14h 30 Valéry Laurand (Bordeaux III)Nature et transcendance : la pensée de la résistance chez Philon d’Alexandrie15h 30 Marion Bourbon (Bordeaux III/SPH)Nature, destin, et emprise: la volonté au risque de la servitude16h 30 Pause café17h Pierre-François Moreau (ENS Lyon/IHPC)Les enjeux d’une pensée de la nature comme socle d’un processus d’émancipation18h Bérengère Basset (ToulouseII/ELH)«Monter les bêtes brutes en chaire»: appel et rappel de la Nature. Usages politiques des récits animaliers au XVIe siècleVendredi 29 novembreIV. Formes de la dénaturation(Présidence: André Charrak)9h 15 Paul-Alexis Mellet (Tours/CESR)La transgression des normes de la guerre: quelques formes de dénaturation au XVIe siècle10h 15 Tristan Dagron (CNRS/IHPC)«Changer le naturel…»: nature et art dans le Discours de la servitude volontaire11h 15 Pause Café11h 45 Nicola Panichi (Urbino)Auto-dénaturation et semina virtutum . La servitude volontaire entre liberté et «déterminisme»12h 45 DéjeunerV. Le naturel dans le verbe(Présidence: Nicola Panichi)14h 30 Michaël Boulet (Président de la SIALB)Parole vive et fiction d’oralité dans le Discours de la servitude volontaire15h 30 Gilles Couffignal (ToulouseII/ ELH)Se représenter la langue naturelle en Périgord au XVIe siècle: autour de l’imaginaire linguistique des Essais et de quelques arguments «naturalistes» du Discours de la servitude volontaire16h 30 Pause Café17h Agnès Rees (ToulouseII- ELH)L’évidence du discours, ou la question du «naturelusage» de la langue chez La Boétie18h Olivier Guerrier (ToulouseII/ELH)«Sortir de l’arbre avec des moyens d’arbre»: la tradition du discours naturel (XVIe-XVIIIe siècle)18h 30 Clôture des travaux
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