Appel à articles pour le n°18 de Temporalités (2013/2)— «Temporalités de la recherche»
Coordonné par Paul Bouffartigue et Caroline Lanciano (LEST-CNRS)
Cet appel vise à susciter des contributions sur les transformations passées ou en cours des temporalités tant du monde de la recherche académique, que du monde de la recherche technologique et industrielle; et ce, dans l’ensemble des champs disciplinaires.
Temporalités des disciplines scientifiques
Les révolutions scientifiques ont été au cours des siècles passés à l’origine de nouveaux domaines de recherche et de savoirs inédits. Comment les disciplines autrefois hégémoniques se maintiennent-elles? Comment rendre compte de l'extrême variabilité des durées de légitimation des paradigmesscientifiques? Comment se sont construites les nouvelles disciplines académiques et celles qui sont aujourd’hui à l’origine de nouveaux secteurs industriels (biotechnologies, nanotechnologies etc.)? Quelle est la place des nouveaux dispositifs instrumentaux dans les avancées scientifiques?
Traditionnellement, il était admis que les travaux de recherche s’inscrivaient dans un champ disciplinaire bien délimité, à l’intérieur duquel ils se développaient à leur rythme propre. Il semble qu’ils répondent désormais à des « problèmes» posés soit par la dynamique théorique, soit par la société civile, les gouvernants, les entreprises. Ces problèmes sont plus ou moins circonscrits et conduisent à des investissements plus ou moins longs. Comment s’est faite cette évolution? Comment les chercheurs font-ils face à la fois à la nécessité de progresser à l’intérieur d’une discipline et de résoudre une question souvent ponctuelle? Comment cette tension entre la logique de la découverte scientifique et la logique de la commande de résultats opérationnels se décline-t-elle, selon les mondes de la recherche (fondamentale/appliquée, scientifique/technique, publique/privée, selon les champs disciplinaires etc.)?
Une accélération influencée par une conception renouvelée du rôle de la recherche?
Depuis une vingtaine d'années, la recherche est présentée par nombre d’économistes et de politiques comme un atout pour la compétitivité d’une nation. Cet avantage tiendrait tout à la fois à la capacité qu’auraient les chercheurs à multiplier et à valoriser leurs résultats, à l’aptitude des entreprises à innover sur les marchés, et à la qualité des relations instaurées entre les académiques et les industriels. Cette fonction donnée à l’activité de recherche modifie-t-elle les pratiques traditionnelles dans ces organisations et ces entreprises, et provoquent-elles des conflits et tensions nouvelles entre leurs temporalités? Dans quelle mesure recherche fondamentale et recherche appliquée et/ou industrielle sont-elles affectées par des tendances au raccourcissement des horizons temporels, à la systématisation rythmée des évaluations, à la mise en compétition par les délais, à la programmation et aux procédures plus strictes, à l’accélération des échéances? Des figures spécifiques de temporalités propres aux mondes de la recherche sont-elles mises à l’épreuve par une pression temporelle accrue?
La recherche serait à la fois un travail créatif et une activité productive insérée dans l’ensemble d’autres activités. Faut-il croire comme on le dit aujourd’hui que la science commanderait l’introduction dans les processus marchands des nouveaux savoirs et savoir-faire qu’elle a elle-même élaborés? Cette conception traduit-elle un état de fait actuel plus ou moins bien interprété, ou bien une tendance dont il faudrait reconnaître les conditions et peut-être les limites? Influence-t-elle déjà les pratiques de division du travail et de répartition des temps consacrés à chaque tâche entre les salariés de la recherche publique et privée, au sein d’un collectif de travail, d’une organisation, entre académique et industriel etc.?
Temps de la programmation scientifique, temps des pratiques de recherche
Comment un chercheur, un collectif, une organisation, une entreprise, un gouvernement orientent-ils la recherche, la programment, la conduisent, en permettant l’enchâssement entre travail créatif et activité productive? Comment organiser son travail, celui des autres en conciliant ces impératifs qui semblent souvent contradictoires? Comment répondre aux injonctions temporelles des financeurs de la recherche? Quelles formes de planification seraient concevables, et peut-être déjà en œuvre, et comment influenceraient-elles les temporalités actuelles des chercheurs?
Avec la montée en puissance des financements par projets au détriment des financements récurrents, dans la recherche académique comme dans la recherche industrielle, comment un chercheur, un collectif de recherche gèrent-ils dans le temps la multitude de sources de financement juxtaposés, comment jonglent-ils avec des différents financeurs dont les objectifs peuvent être différents, est-ce que cela engendre de nouvelles tensions, est-ce que cela crée de nouvelles pratiques?
Certains chercheurs universitaires rappellent communément les contraintes de la science fondamentale, et les opposent aux logiques du financement et de la rentabilisation des découvertes industrielles, afin de combattre les tentatives de soumettre leur activité à un pilotage extérieur. Ils présentent l’activité des chercheurs d’entreprise comme appliquée et «court-termiste». Comment ont évolué, sous l’effet des contraintes actuelles de la rentabilité financière, les conditions et temporalités du travail et de l’emploi des chercheurs et techniciens de la R et D industrielle? Jusqu’à quel point l’opposition entre temporalités de la science fondamentale et temporalités de la recherche industrielle est-elle toujours pertinente? Quelles sont les formes qu’a pris historiquement et que prend actuellement dans nos sociétés, cette tension centrale entre les temporalités «longues» de l’innovation scientifique, et les temporalités «courtes» du pilotage et de la valorisation des «retombées» de la recherche? Est-il possible d’envisager d’autres types de découpages temporels?
De nouvelles conceptions valorisent les relations et les collectifs hybrides de diverses natures qui associent universités et entreprises, le public et le privé. Comment les différentes temporalités d’individus appartenant à ces organisations intermédiaires se combinent-elles ou se concilient-elles? Sont-elles génératrices de conflits? Est-on fondé à postuler la possibilité d’une soumission de l’activité scientifique à la sphère des échanges marchands? Sous quelle forme ce processus éventuel se présente-t-il, et sous quelles conditions? Comment modifie-t-il les temporalités du travail de la rechercheacadémique [1] et de l’innovation productive? Comment ces tendances se traduisent-elles dans les conditions de formation des doctorants et dans la division hiérarchique du travailau sein des collectifs de recherche académique et industrielle? Ont-elles un rôle sur les créations d’entreprises réalisées par les chercheurs académiques?
Évaluation, mesure et temporalités des pratiques de recherche
De nouveaux outils de mesure des travaux de recherche, des institutions universitaires, du travail fourni par les chercheurs etc. ont été créés depuis quelques années au niveau international; ils s’appuient sur des indicateurs d’évaluation quantitatifs et prétendument objectifs et aboutissent le plus souvent à des classements (le classement de Shanghai, par exemple). Il s’agit, dans un contexte de mondialisation croissante, de pouvoir comparer la recherche et les chercheurs aisément dans le but d’accroître la compétition entre eux. Ce mouvement est-il concomitant, parallèle ou lié à celui qui tend à orienter, programmer et contrôler de plus en plus étroitement la recherche? Dans quelle mesure le recours a la planification modifie-t-il les modalités et les rythmes d’évaluation de la recherche académique, les temporalités de recherche et des publications scientifiques? Quelle est l’influence de ces nouveaux outils d’évaluation sur les pratiques tant des individus que des collectifs? N'est-elle pas éminemment variable selon les champs disciplinaires et selon la position sociale occupée dans la division du travail de recherche?
Dans l’industrie, montent aussi en puissance les évaluations spécifiques des performances individuelles des chercheurs, des ingénieurs de développement etc.; elles permettent de comparer les salariés d’une même multinationale, par exemple. Parallèlement, se développent les jugements des projets et des départements de R/D à partir d’une balance entre leurs coûts et les bénéfices qu’ils génèrent etc. Comment ces procédures, et l’accélération de leurs rythmes modifient-elles les pratiques des salariés engagés dans la R/D? Est-ce qu’elles les rapprochent des salariés de la recherche académique?
Temporalité des connaissances scientifiques, temporalité de leur appropriation sociale
Dans la société actuelle où la science est omniprésente, comment et selon quels rythmes celle-ci marque-t-elle les pratiques quotidiennes des citoyens? Par exemple, selon quelles temporalités les avancées scientifiques sont-elles traduites dans les programmes d’enseignement? Quel travail doivent-ils mener pour s’approprier les connaissances qui leur sont nécessaires à un certain moment? Cette activité menée par les profanes peut-elle être à l’origine de nouveaux champs scientifiques et en combien de temps?
Cet appel s’adresse aux principales disciplines des sciences humaines et sociales, notamment l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la gestion…
Les propositions d’articles devront être étayées empiriquement et expliciteront leurs démarches méthodologiques. La sélection des projets d’articles se fera à partir d’une note d’intention de 5000 signes, qui devra impérativement parvenir aux coordinateurs du numéro, Paul Bouffartigue ( paul.bouffartigue@univ-amu.fr ) et Caroline Lanciano ( caroline.lanciano@univmed.fr ), ainsi qu’au secrétariat de rédaction de la revue ( temporalites@revues.org ) avant le 15 décembre 2012.
Calendrier récapitulatif, échéances:
Réception des propositions (résumés de 5000 signes maximum): 15 décembre 2012
Réponse des coordinateurs: 15 janvier 2013
Réception des articles (50000 signes maximum): 15 avril 2013
Retour des expertises des referees: 30 mai 2013
Réception de la version révisée: 20 août 2013
Parution: décembre 2013
[1] On peut citer, comme exemple, les effets de l'accélération des temporalités de la recherche industrielle sur la recherche académique: les industriels ont tendance à diminuer les financements de doctorat en chimie ou en pharmacie car l’engagement de 3 ans sur une opération de recherche leur apparaît trop long au vu des nouvelles contraintes temporelles de leurs projets.
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