Un roman peut-il servir de source aux historiens ? , par P. Assouline (blog)LE 30 AVRIL 2013Un roman peut-il servir de source à l’historien dès lors que son auteur a été témoin sinon acteur des évènements ? La liste est longue, inépuisable même, de ces œuvres de fiction inspirées par l’Histoire en marche, que les historiens n’hésitent pas à citer dans leur bibliographie, de Homère à Vassili Grossman en passant par le Malaparte de Kaputt et de La Peau et tant d’autres. Ils y trouvent des faits ou des choses vues, des noms ou des dates, l’air du temps ou la rumeur du monde, et avant tout une émeute de détails : ils avaient le plus souvent échappé aux mémorialistes ; or, pour les chercheurs, ils sont la cerise sur le gâteau. Ainsi de D’un château l’autre (1957) de Louis-Ferdinand Céline.Fuyant la France de la Libération et de l’inévitable épuration qui lui promettait d’être pendu haut et court, l’écrivain emboîta le pas au gouvernement de Vichy, Pétain et Laval en tête, exilés contre leur gré par Hitler au château des Hohenzollern, dans le sud de l’Allemagne. Redevenu le Dr Destouches, il séjourna en ville de novembre 1944 à mars 1945 avant de fuir à nouveau vers le Danemark ; il s’était fait exclusivement médecin des pauvres durant toute cette période, se dévouant pour près de deux mille Français (pour la plupart collabos et miliciens en déroute avec leurs familles), n’écrivant pas et ne prenant aucune part à la vie politique. Le roman qu’il en tira par la suite est cité comme source, et nombre d’extraits reproduits comme on le ferait de documents, sans esprit critique, dans la plupart des livres évoquant le moment français de Sigmaringen. Christine Sautermeister, spécialiste des rapports entre Céline et l’Allemagne, vient de lui consacrer une étude très complète Louis-Ferdinand Céline à Sigmaringen (23 euros, éditions Ecriture) ; elle n’y tient pas seulement la chronique des évènements courants durant ces quelque cinq mois : elle s’y efforce de comparer ce que fut la fiction romanesque et la réalité historique ; car si il est un écrivain avec qui il convient de faire la part tant de l’invention et de la licence poétique que du pur délire paranoïaque, c’est bien lui.Lire la suite…
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