L’influence des philosophes sur l’œuvre de Samuel Beckett est aujourd’hui abondamment traitée par les chercheurs et tous ceux qui aiment son œuvre et la philosophie. Il semble tout à fait naturel de rencontrer la juxtaposition du nom de l’écrivain et de n’importe quel philosophe, puisque Beckett lisait assidûment les philosophes occidentaux, depuis les présocratiques, et que, bien des années plus tard, les philosophes contemporains comme Blanchot, Bataille, Deleuze, Adorno et bien d’autres ont à leur tour pris son œuvre comme objet et comme emblème de leur pensée.Pourtant Descartes, fondateur de la philosophie moderne, est en quelque sorte privilégié parmi les philosophes entourant Beckett. Ce dernier s’absorbait en effet dans la lecture de ses œuvres philosophiques et sa biographie au début des années 1930. C’est à l’âge de vingt‑quatre ans, avant même de commencer sa carrière de romancier et de dramaturge, qu’il assimile la pensée cartésienne avec un grand intérêt : les amis de Beckett, comme Lawrence Harvey, affirment qu’il existait, bien qu’aujourd’hui perdues, un ensemble de notes prises par Beckett sur l’œuvre de Descartes, fort de 800 pages et donc incomparablement volumineux par rapport aux notes se rapportant à d’autres philosophes1. Avant même de considérer la proximité ou l’écart entre la pensée du philosophe et celle de l’écrivain, toutes ces informations mêlées engendrent déjà un certain mythe de cartésianisme, ou d’anti-cartésianisme si l’on veut, dans la recherche beckettienne.Sans aucun doute Whoroscope (1930) joue un grand rôle dans la consécration de ce mythe. Le poème cynique et extravagant, fondé sur la biographie de Descartes, est la première œuvre de Beckett publiée en anglais. Inédite en français jusqu’à la fin de 20122, cette œuvre de jeunesse est une œuvre-clé pour éclaircir ce qui unit Beckett et Descartes à partir d’un nouveau point de vue.Portée de la lecture poétique de la philosophie : dépasser le dualismeC’est justement ce poème, Whoroscope, qu’Edward Bizub analyse avec minutie et remet en cause dans Beckett et Descartes dans l’œuf. Aux sources de l’œuvre beckettienne : de Whoroscope à Godot. Paru la même année que la version française du poème, le travail d’E. Bizub la précède et se fonde donc forcément sur la version anglaise originale, qui a souvent été considérée comme « ésotérique ». E. Bizub, auteur bilingue et extrêmement fidèle aux faits, reconstitue le sens global des strophes énigmatiques et la condition dans laquel
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