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Logiques et dynamiques des groupes littéraires

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Université de Liège, 28-29 novembre 2013Défini par le sociologue Georges Gurvitch comme une «unité collective réelle […] qui constitue un cadre social structurable» (Gurvitch, 1958, p.187), le groupe est au fondement de la réalité sociale. De nombreuses réalités humaines reposent sur des dynamiques de groupe, qui trouvent à s’inscrire dans des institutions dont les modes de structuration sont tantôt rigides et explicitement déclarés (formations politiques, juridiques, professionnelles), tantôt plus informelles et malléables (bandes amicales, groupes littéraires, clubs de loisirs). Parmi ces formes de collectivité, les groupes restreints sont les plus susceptibles de faire naître, entre les membres qui les composent, des relations affectives privilégiées et des logiques communes fondées sur le principe de solidarité; relations et logiques qui varient d’un groupe à l’autre, mais qui évoluent au cœur même d’un seul groupe et qui nourrissent directement l’image que le groupe donne de lui-même.Entre tous, les groupes littéraires, apparaissent comme des objets d’étude idéaux. Au sein de leurs écrits et par les comportements particuliers qu’ils adoptent (rituels, conduites de vie, lois tacites), ils témoignent volontiers de ces logiques et dynamiques, en les orientant à l’aune de valeurs bien particulières liées à la spécificité de l’univers des lettres. Ce sont précisément ces postures, modes de régulations et types de représentations de la collectivité littéraire que ce colloque, qui se tiendra à l' Université de Liège les 28 et 29 novembre 2013 , souhaite interroger à nouveaux frais.Etat de la question. Tout au long de la seconde moitié du XX e siècle, la question du groupe s’est révélée féconde pour les sciences humaines, qui l’ont étudiée avec leurs outils respectifs. Sur le plan philosophique, Sartre, dans sa Critique de la raison dialectique (1960), a mis en lumière les logiques de cohésion à l’œuvre dans les groupes révolutionnaires unis par un serment. D’un point de vue historique, les recherches de Maurice Agulhon sur le mode de sociabilité du «cercle», rassemblement s’inspirant du modèle anglais du «club», ont pour leur part montré la façon dont cette réalité groupale s’était imposée comme une véritable institution bourgeoise dans la France du XIX e siècle (Agulhon, 1977). Dans le domaine de la psychologie, les recherches de Didier Anzieu et Jacques-Yves Martin, en distinguant cinq grand types de groupes sur la base des critères de conscience et d’envergure, ont interrogé les manières de gérer ces collectifs et leurs mécanismes de structuration interne (Anzieu et Martin,1979); ces travaux ont été prolongés par les recherches en psychologie de la communication et les développements en matière de psychologie des groupes restreints, qui étudie les rôles d’intégration et de différenciation du collectif, mais aussi les effets émotionnels et les formes relationnelles qu’il fait émerger en son sein (Blanchet et Trognon, 2008). L’anthropologie, pour sa part, s’est logiquement penchée sur les modes de variation des structures groupales, en fonction des espaces géographiques dans lesquels elles prennent place (Lévi-Strauss, 1958), tandis que la sociologie, de Max Weber à Pierre Bourdieu, a cherché à mettre en lumière les mécanismes de constitution et de dissolution de certains groupes restreints, mais aussi les comportements valorisés et réprimés au cœur de ces collectifs, qui permettaient la vie communautaire ou la rendaient impossible (Weber, 1996 et 2003). Issus de réalités réticulaires plus larges (Burt, 1980 et 1982), les groupes restreints ont également retenu l’attention de la recherche pour leur possible rôle de substrat de projets collectifs de large envergure (Dujardin, 1988).Dans le sillage de Pierre Bourdieu, les outils développés par la sociologie ont également été employés par des chercheurs soucieux d’éclairer les réalités à l’œuvre au cœur du champ littéraire: ces derniers, au-delà des trajectoires individuelles des écrivains, ont bien mis en lumière la façon dont l’activité littéraire, depuis l’époque romantique jusqu’à la fin des années 1970, était la plupart du temps affaire de collectif, qui se développait autour de cénacles, groupes et autres écoles (Whidden, 2009). Plusieurs spécialistes ont proposé des analyses spécifiques desmodes d’émergence de ces collectifs littéraires (Bourdieu, 1992; Bertrand, Dubois et Durand, 1983; Jurt, 1986), mais aussi des mécanismes qui les régissent et des conduites de vie qu’ils adoptent et promeuvent (Ponton, 1973; Saint-Amand et Vrydaghs, 2008). Enfin, des travaux récents ont pris en compte la nécessité d’interroger, d’une part, la façon dont ces collectifs se mettent en scène, se donnent à voir médiatiquement et, d’autre part, la façon dont, à travers leurs discours et leurs actes, ils contribuent directement à nourrir l’imaginaire littéraire d’une époque autant qu’à infléchir les représentations de l’activité d’écrivain (Glinoer 2008et Laisney 2002).Objectifs du projet Un tel panorama montre que les sciences humaines, ont, au cours des dernières décennies, porté une attention particulière aux modes de fonctionnement et aux enjeux des dynamiques relationnelles de groupe. Si ces recherches ont produit des résultats aussi stimulants qu’efficaces, et exploitables dans leurs orientations respectives, d’une part, l’approche de la dynamique des groupes restreints est pour l’instant demeurée, pour l’essentiel, disciplinairement déterminée; d’autre part, l’approche des groupes littéraires et de leurs discours sur leur activité n’a pour l’instant été le fait que d’une certaine frange de la sociologie de la littérature. Il s’agirait ici de développer cette réflexion, en prenant également en considération les éclairages proposés par des disciplines voisines, qui permettront de mieux cerner et de comprendre plus finement les modes de collectivisation du littéraire.Sur le plan chronologique, cette recherche portera sur la modernité récente, période au cours de laquelle progressent les modes d’institutionnalisation des phénomènes collectifs et qui se trouve marquée par l’avènement d’une «ère médiatique» (Vaillant et Thérenty, 2001) favorisant l’émergence d’un discours sur ces réalités et contribuant à en accroître leur visibilité. On prendra de cette manière pour point de départ le phénomène d’autonomisation du littéraire qui, comme l’a démontré Pierre Bourdieu (1992), s’observe au XIX e siècle, période à partir de laquelle les écrivains, libérés des pressions et commandes extérieures (mécénat, rôle de soutien politique), en viennent à concevoir l’écriture comme une activité émancipée et se réunissent volontiers entre eux pour la vivre et la commenter. Concernant le terminus ad quem de ce projet, nous nous en tiendrons à la fin des années 1970 où, avec la mort des avant-gardes, la dimension collective de la vie littéraire paraît s’étioler pour laisser place à une individualisation exacerbée de l’activité d’écrivain (Bertrand et Glinoer, 2006). Entre ces deux dates, on accordera également une attention toute particulière à la façon dont les grands événements historiques infléchissent directement les modes de constitution et de régulation des collectifs littéraire, depuis la Commune, qui provoque le rassemblement des Zutistes (Saint-Amand, 2013), jusqu’à la Grande Guerre, à laquelle les surréalistes, emmenés par André Breton, réagissent en se rassemblant (voir Bertrand, Dubois et Durand, 1983), et à la Seconde Guerre mondiale, qui a largement divisé les groupes littéraires et considérablement modifié leurs pratiques(Sapiro, 1999).Cette rencontre aura également un objectif épistémologique et visera à interroger la façon dont les sciences humaines étudient les mécanismes de constitution, de régulation interne et de représentation des groupes littéraires; à confronter les outils mobilisés dans ces différentes orientations disciplinaires et à envisager les possibilités de les articuler. À cet égard, si la notion de «conduite de vie» permet d’interroger la façon dont certains collectifs en viennent à favoriser implicitement certains comportements et à en réprimer d’autres, qu’en est-il des mécanismes psychologiques qui favorisent le développement d’une axiologie non explicitement établie? Comment envisager de façon spécifique les représentations de ces collectivités, notamment leurs mises en fiction, par rapport aux données objectives résultant de leurs conduites communes? Comment les groupes littéraires sont-ils déterminés par les différences (sexuelles, générationnelles, ethniques) qui se manifestent en leur sein (comment en sont-ils affectés et/ou comment en tirent-ils parti)? Comment et pourquoi en viennent-ils à développer certaines postures collectives (c’est-à-dire des mises en scène de soi, discursives et extra-discursives – voir Meizoz, 2007) et par quels procédés ces images d’eux-mêmes en viennent-elles à infléchir directement l’imaginaire social d’une époque? Quelle sont, enfin, les grandes particularités des groupes littéraires en regard des autres communautés restreintes étudiées par les sciences humaines (groupes professionnels, groupes de loisir, groupements religieux)?Les propositions de titres et un résumé programmatique (350 mots) sont à transmettre à Denis Saint-Amand ( Denis.Saint-Amand@ulg.ac.be ) pour le 15 juin. Références bibliographiquesAgulhon Maurice (1977), Le Cercle dans la France bourgeoise, Paris, Armand Colin, «cahier des annales».Allan Graham (1979), A sociology of friendship and kinship , Londres, Allen and Unwin.Anzieu Didier (1981), Le Groupe et l’inconscient. 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