L’essai Éclats des vies muettes, d’Aurélie Adler, s’inscrit dans la lignée des études portant sur le renouvellement des formes du récit biographique. « Biographie fictive », « biofiction », « vies imaginaires » ou encore « récits de filiation1 », la catégorisation du bio-graphique se trouve en effet, depuis une dizaine d’années, au cœur d’approches diverses qui questionnent autant la mutabilité du genre que sa vigueur littéraire. A. Adler aborde ici les récits de vie d’Annie Ernaux, de Pierre Michon, de Pierre Bergounioux et de François Bon, quatre auteurs souvent convoqués pour illustrer ce renouveau du biographique, mais jamais réunis dans une même perspective. Loin de conforter des pistes critiques déjà bien défrichées, l’étude d’A. Adler est forte d’un angle d’approche original. En partant de la micro-figure inscrite au centre de ces récits biographiques — la « vie » du personnage de peu, telle qu’indiquée par des titres à la résonance volontairement modeste (Vies minuscules, Miette, Une femme, Un fait divers, etc.) — elle parvient à relier chacune de ces démarches narratives autour d’un axe structurant : l’écriture des « figures du minuscule et du marginal. »L’invention d’un paradigme : minuscule/marginalLa mise au jour de cette figure socio‑référentielle — « minuscule », si l’on considère sa place d’anonyme en regard de l’Histoire, et « marginale », si on l’envisage comme en retrait de divers espaces (géographique, social, culturel, littéraire) —, pour probante qu’elle soit, n’épuise en rien l’analyse de l’auteur. Au contraire, l’entrée thématique pose les assises d’un véritable doublon conceptuel (minuscule/marginal) qui va innerver jusqu’aux dimensions poétique et auctoriale des récits. La figuration d’identités mineures induirait ainsi un système de représentation minuscule et/ou marginal inédit, propre aux récits composés au tournant des années 1980. En effet, à la péremption des catégories de « personnage » et « d’illusion référentielle » — héritées du réalisme et remises en question par l’ère du soupçon et les années Tel Quel – viennent s’ajouter des bouleversements d’ordre épistémologique, introduits par les sciences sociales dans le courant des années 1960 — micro-histoire, psychanalyse lacanienne, structuralisme –, avec lesquels ces récits de vie doivent composer. Une « double opération de minusculisation des paramètres de la narration et/ou de marginalisation du romanesque » (p. 14) affecte alors ces textes, tant la saisie des « vies muette
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