Lecteurs/spectateurs d'Alexander Kluge Colloque international – Université de Liège 11-13 décembre 2013 Keynote Speakers Prof. Dr. Nicole Brenez, Paris 3 – Sorbonne Nouvelle Prof. Dr. Thomas Elsaesser, Universiteit van Amsterdam Prof. Dr. Gertrud Koch, Freie Universität Berlin Prof. Dr. Christian Schulte, Universität Wien Objet Cinéaste, écrivain, sociologue et homme de télévision, Alexander Kluge est une figure insaisissable dont l'œuvre résiste aux catégorisations que l'histoire de l'art ou de la pensée tenterait de lui imposer. Fasciné par la «diversité primitive» du cinéma des premiers temps, il accueille aussi avec enthousiasme les innovations techniques qui animent l'histoire de l'audiovisuel depuis l'apparition de la vidéo portable. Principal penseur du Nouveau Cinéma Allemand, il n'a jamais rejoint le panthéon de ses représentants les plus connus du grand public. Acteur essentiel de la télévision privée allemande, il lui offre quelques-uns de ses programmes les plus singuliers et assurément les moins commerciaux. Sa production écrite résiste, elle aussi, à tous les canons de genres et sous-genres. Entre l'essai, la nouvelle et la proposition théorique, ses textes n'imposent pas de canevas de lecture et invitent plutôt à la découverte de multiples histoires croisées que l'auteur revisite sans jamais vouloir les ordonner. Pétri de subjectivité auteuriale enfin, il prône également un partage avec ses co-auteurs, lecteurs et spectateurs, sollicités sans cesse pour réinventer ce que l'artiste met en débat. Face à cette œuvre multiple et protéiforme, le commentateur et l'analyste peuvent être tentés d'établir des généalogies qui permettraient enfin de «maîtriser» l'œuvre. Et il est vrai que l'histoire personnelle de Kluge (notamment ses liens avec quelques penseurs et artistes essentiels du 20 e siècle) et les innombrables références explicites, effets de mimétisme et échos plus discrets entre systèmes de pensée et représentations dans son œuvre, ont de quoi tenter le chercheur érudit. Pourtant, à bien y regarder, lire et écouter, l'œuvre littéraire et audiovisuelle de Kluge relègue la généalogie au rang de phase mineure ou préparatoire de la découverte, car c'est bien l'interstice qui intéresse Kluge, l'entre-image , ou ce qui surgit entre une multitude de (micro)narrations du réel et de médias juxtaposés (le moniteur et l'écran géant, le texte et l'image, la formule mathématique et la représentation figurative, l'image d'Epinal et le grand tableau). C'est que Kluge n'est pas seulement un témoin privilégié de l'histoire. Il en est aussi un recréateur qui incite ses lecteurs et spectateurs à le rejoindre: la littérature comme le cinéma doivent nous pousser vers la découverte de nos histoires, vieilles de «plusieurs millions d'années» (Kluge), pour favoriser, grâce à l'émergence de multiples rencontres impromptues, une pensée historiographique traversée par quelques obsessions/obstinations récurrentes (les sentiments, l'histoire et les histoires, le conte, la guerre, etc.). L'enjeu de cet incessant travail de réécriture, de nouvelle articulation, de croisement partagé et de montage, qui doit transformer le spectateur et le lecteur en éléments actifs dans le processus de création, n'est pas seulement esthétique. Ce singulier projet est aussi et peut-être avant tout historiographique et politique, car il vise à une identification du rôle moteur d'un héritage des sentiments dans le récit de l'histoire de l'humanité. En projetant le lecteur et le spectateur vers d'innombrables anecdotes, historiques ou non, qui renvoient à des épisodes aussi hétérogènes que la campagne de Russie de Napoléon 1 er , la dérive des continents, ou le rituel de son père soucieux des poissons de l'étang familial, Alexander Kluge crée en effet une œuvre «antigénéalogique» qui doit affranchir son public d'une historiographie de la fatalité pour lui faire prendre conscience que, depuis que l'homme existe et dès qu'il nait, il est traversé de sentiments et que donc il proteste (Kluge) . Dans l'œuvre de Kluge, le fondement de ce projet est une invitation lancée au lecteur et au spectateur à fouiller les représentations, ses multiples supports, les textes et ses mémoires personnelles pour découvrir les traces d'un «incessant travail de l'esprit» (Kluge) dont le cinéma, la télévision, le dessin, la peinture et la littérature sont quelques dépositaires parmi d'autres. C'est à cette invitation que ce colloque entend répondre en suggérant à ses contributeurs de se faire lecteurs/spectateurs de l'œuvre de Kluge, c'est-à-dire d'en prolonger par leur réflexion les résonances antigénéalogiques, intermédiatiques et politiques. Axes de réflexion envisagés Les axes de réflexion décrits ci-dessous ne constituent pas une liste exclusive des champs, problématiques et objets à explorer dans le cadre du colloque Lecteurs/spectateurs d'Alexander Kluge . Ils sont davantage présentés en guise de suggestions parmi d'autres, qui éclaireront les participants quant aux approches privilégiées par les organisateurs du colloque. Montage: Si Alexander Kluge et les principaux analystes et commentateurs de son œuvre ont abondamment souligné l'importance du montage comme forme analytique, on constate par ailleurs que le lecteur et le spectateur qui se laissent emporter par les agencements de narrations et de micro-récits, subissent d'abord une vertigineuse perte de repères traditionnels qui semble a priori incompatible avec une analyse historico-politique. Pourtant, cette perte qui se joue dans la juxtaposition, le croisement et la mise en dialogue de récits issus de temporalités contrastées, semble précisément être la condition même de l'épanouissement et de l'émancipation politique que Kluge veut susciter auprès de son public. L'apparente décontextualisation des bribes d'histoire qui est à l'œuvre dans ce travail de montage d'images et de textes, aboutit en effet à la constitution d'une singulière cosmogonie politique animée par les sentiments − nommés aussi «rêves» ou «émotions» selon les textes −, autant de manifestations de l'incessante capacité protestataire du sujet qui fonde l'héritage de tout spectateur et lecteur. Entretien: La posture de l'interviewer/interviewé virtuose Kluge a déjà fait l'objet de réflexions approfondies qui ont montré que, des «dialogues socratiques» (Negt) pour la télévision aux interviews données à la presse, l'entretien ‒ forme discursive essentielle dans l'œuvre de Kluge ‒ ne se cantonne jamais dans un échange horizontal mais fonctionne au contraire par déports cumulés qui brouillent la traditionnelle frontière entre commentaire et œuvre commentée. Plus rares en revanche sont les travaux qui se penchent également sur les formes a priori plus fragiles (le faux dialogue ou le dialogue fictif, le dialogue de sourds) qui foisonnent dans l'œuvre de Kluge dès ses premiers films et textes théoriques, et qui constituent, elles aussi, d'inépuisables sources de lecture et de relecture de l'œuvre klugienne comme de celle d'autres auteurs et penseurs. Traduction : Une partie du colloque sera consacrée à la traduction des textes de l'écrivain, qui, en raison de leurs multiples références croisées, résistent bien souvent à certains systématismes qui fondent le métier de traducteur. Traduire un texte de Kluge revient à s'exposer aux effets de résonance, parfois évidents (Adorno, Bloch, Marx), mais parfois plus discrets aussi (les contes, l'opéra, différentes cultures antiques) du texte, qui attestent déjà d'un travail de réappropriation par Kluge, analogue à la traduction, et qui poussent le traducteur – à l'instar de Kluge − à se faire lecteur, donc recréateur et monteur à son tour. Informations pratiques Dates et lieu du colloque : 11-13 décembre 2013, Université de Liège (Belgique) Propositions de communication : Les propositions de communication sont à envoyer à l'adresse mail kluge-conference@ulg.ac.be pour le 30 juin 2013 au plus tard. D'une longueur de 500 mots environ, elles seront accompagnées d'une brève note biographique de l'auteur ainsi que de ses coordonnées complètes (adresse professionnelle, adresse électronique, n° de téléphone). Réponse sera donnée aux soumissionnaires avant le 1 er août 2013. Langues : Les langues du colloque sont le français, l'allemand et l'anglais. Frais : L'inscription au colloque est gratuite. En fonction de budgets disponibles, une couverture partielle des frais de logement sera proposée aux participants. Programme : Un programme de projections et de lectures publiques d'une sélection d'œuvres d'Alexander Kluge clôturera chaque journée. Actes : Une publication des actes aux Presses Universitaires de Liège (PULg) est prévue. Organisation: Prof. Dr. Céline Letawe, Department of Modern Languages and Literatures, ULg Dr. Grégory Cormann, Department of Philosophy, ULg Dr. Jeremy Hamers, Department of Communication Arts and Sciences, ULg Le colloque international Lecteurs/spectateurs d'Alexander Kluge est organisé dans le cadre de l'Année de l'Allemagne à l'Université de Liège et bénéficie du soutien du Goethe Institut de Bruxelles et de la Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège.
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