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Des erreurs historiographiques (revue En jeu )

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Appel à contribution pour la revue interdisciplinaire de la Fondation pour la mémoire de la Déportation (FMD), En Jeu. Histoire et mémoires vivantes , n° 2, décembre 2013: Des erreurs historiographiques Pourquoi s’intéresser au problème des erreurs historiographiques? Comme toute discipline à prétention scientifique, l’histoire progresse par «essais», «erreurs» et «correction d’erreurs». Et cette démarche est d’autant plus significative pour elle que ces erreurs peuvent affecter aussi bien le niveau factuel que le niveau interprétatif de ses constructions. Très souvent oublieuses de leur histoire, les sciences humaines, l’histoire en particulier, auraient pourtant intérêt à se pencher sur ces erreurs car leur étude pourrait s’avérer riche en leçons multiples. De fait, alors que l’histoire et la sociologie des sciences physico-mathématiques ou naturelles ont depuis longtemps analysé la production, la réception et la possible contribution des erreurs à la dynamique de ces disciplines, notamment dans le cadre des science studies, une telle approche est exceptionnelle en histoire des sciences humaines, et notamment en historiographie. Dans ce dernier domaine, les erreurs ne sont généralement envisagées qu’en contrepoint de la thèse présentée, mais ne font pas en elles-mêmes l’objet de l’étude. Sous réserve d’erreurs ou d’omissions, la bibliographie sur le sujet est étique. Pourtant, nous estimons que l’erreur historiographique vaut d’être étudiée selon des perspectives semblables à celles qui sont au cœur des science studies : nous faisons l’hypothèse que l’erreur constitue un excellent angle d’observation des mécanismes de perception et de réception, des structures et des dynamiques du champ de la recherche historique et des rapports entre la discipline historique et la société. On pourra certes s’interroger sur la pertinence de ce transfert des réflexions sur les sciences physico-mathématiques et naturelles au cas des sciences humaines, mais il nous semble qu’il s’agit d’une orientation potentiellement fructueuse. Cet appel à contributions inclut la présentation et l’analyse de tout type d’erreur dans l’historiographie des grands conflits contemporains, de la répression et des massacres de masse.Il serait en effet bienvenu de disposer de plusieurs études de cas afin d’envisager une approche comparée de cet objet méconnu qu’est l’erreur historiographique. Néanmoins, parmi les erreurs qui ont marqué l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale et, singulièrement, l’histoire de la Déportation, nous en avons retenu une qui nous semble paradigmatique. Un cas paradigmatiquede l’erreur historiographique ? L’erreur d’Olga Wormser-Migot sur les chambres à gaz de Ravensbrück et de Mauthausen Il s’agit du travail pionnier d’une des figures les plus marquantes de l’historiographie française de la Déportation et du système concentrationnaire nazi: Olga Wormser-Migot (1912-2002). Son œuvre – enquêtes, articles, ouvrages et contributions multiples à des publications collectives – fut immense à la fois par son étendue et par sa richesse. Elle fut, avec quelques autres pionniers, aux fondements d’une historiographie qui, depuis lors, n’a fait que s’amplifier, s’approfondir et se diversifier. Signalons quelques-uns de ses travaux: Tragédie de la Déportation 1940-1945. Témoignages de survivants des camps de concentration allemands (1954, en collaboration avec Henri Michel), Le retour des déportés. Quand les alliés ouvrirent les portes , (1965), Le système concentrationnaire nazi 1933-1945 (1968), L’ère concentrationnaire (1970), l’ère des camps (1973), Assez mentir! (1979 en collaboration avec Vercors). Historienne engagée, esprit inquiet, soucieuse de mettre à la portée du grand public la connaissance historique, elle ne se limite pas à l’histoire de la Déportation et des camps nazis. Elle publia nombre d’autres ouvrages aux sujets les plus variés: Les Femmes dans l’histoire (1952), Catherine II (1956), Frédéric II (1960), Marie-Thérèse impératrice (1960), Attrait de Delacroix (1963). Il est vrai que l’importance de ses travaux sur la déportation et le système concentrationnaire a contribué à éclipser ces autres productions historiques restées pour ainsi dire dans l’ombre. Nous connaissons fort peu de choses sur leur réception. Y a-t-il rupture entre ces deux volets de ses préoccupations historiographiques? Et s’il y a, au contraire, continuité, de quel ordre serait-elle? La chronologie même de certaines publications, de la Tragédie de la Déportation à l’Attrait de Delacroix , nous indique que ces deux volets s’entrecroisent et se déroulent presque parallèlement dans son travail de recherche. Nous pensons qu’une réflexion sur l’ensemble de son œuvre, déportation et hors déportation, pourrait mieux nous faire connaître aussi bien la personnalité d’Olga Wormser-Migot que sa façon d’envisager le métier d’historien. Parmi ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale, la Déportation et les camps, une place centrale est accordée à ce qui peut être considéré à juste titre comme son œuvre majeure, à savoir sa thèse de doctorat sur Le système concentrationnaire nazi (1933-1945) , publiée en 1968 aux Presses universitaires de France. Etrange destinée d’une œuvre: à la fois pionnière et lieu de sérieuses controverses et de vives polémiques et ce, chose remarquable, depuis sa parution jusqu’à nos jours – presqu’un demi-siècle après! La question centrale qui a nourri et qui continue à nourrir controverses et polémiques porte bien évidemment sur l’affirmation radicale de l’historienne d’après laquelle il n’y aurait pas eu, contrairement à ce qu’affirment des témoins oculaires et des travaux historiques de certains survivants, de chambres à gaz et d’assassinats par gazage dans les camps de Mauthausen et de Ravensbrück – et par extension donc pas de gazages dans les camps qui se situeraient à l’intérieur des frontières de l’ancien Reich. Dans une telle perspective, les chambres à gaz en tant que technique et les assassinats par gazage en tant que finalité, seraient exclusivement réservées aux Juifs et aux Tsiganes. Certes, cette erreur factuelle, bien qu’elle soit de taille, n’invalide nullement l’ensemble de la thèse de doctorat, mais elle pose une multitude de questions fondamentales tant sur le plan de la méthode et du traitement de matériaux et des sources qu’au niveau de l’interprétation d’ensemble de la criminalité nazie dans ses multiples dimensions – notamment les rapports complexes entre le système concentrationnaire et le système génocidaire. Cantonné jusqu’ici dans l’enceinte de quelques spécialistes, ce débat mériterait d’être remis à jour dans un espace plus élargi car, à défaut d’être discutées, ces erreurs historiographiques s’installent dans le non-dit, deviennent inertes et donc inutiles pour faire progresser nos connaissances. Perspectives de recherche L’erreur d’Olga Wormser-Migot ayant déjà fait l’objet d’évocations et d’études dans des travaux d’historiographie de la Déportation, il a été possible d’élaborer un questionnement qui pourra probablement être adopté et adapté pour l’analyse d’autres cas. La production de l’erreur Si la réception de l’erreur a été au cœur des recherches jusque-là menées sur la thèse d’Olga Wormser-Migot, les raisons ayant amené cette dernière à ces affirmations discutées demeurent méconnues. Là réside probablement le point le plus délicat et peut-être le plus riche de l’enquête. Sans doute s’agit-il d’une erreur à partir de laquelle on peut revisiter les grandes questions qui travaillent la recherche historique tant sur le plan de ses méthodes qu’au niveau de ses hypothèses d’interprétation relativement au système nazi et sa criminalité. L’une de ces questions et pas la moindre est, surtout dans ce domaine, le choix et le traitement des sources, l’articulation en particulier de la critique historique et de l’apport du témoignage et des témoins. La question est simple: comment Olga Wormser-Migot est-elle parvenue à la conclusion et à la conviction de l’inexistence des chambres à gaz de Mauthausen et de Ravensbrück? Le texte de la thèse lui-même n’offre guère d’informations. Pourquoi Olga Wormser-Migot écarte-t-elle, sans clairement les discuter, des références bibliographiques sur le sujet: témoignages certes, mais aussi études de nature historique, telles celles de Michel de Boüard sur Mauthausen et de Germaine Tillion sur Ravensbrück? Peut être ici abordée la question du rapport de l’historienne au témoignage oral et écrit en ces années cinquante et soixante où le problème de l’utilisation du témoignage dans les sciences humaines n’a pas encore été l’objet d’une réflexion approfondie. Ecarter le témoignage ne serait-il pas dès lors un mode d’affirmation pour une auteure dont l’ensemble de la production préalable n’avait pas toujours eu pour premier objectif de satisfaire aux exigences de la recherche scientifique? La réception de la thèse et de l’erreur de 1968 à aujourd’hui: L’étude est ici nécessairement à aborder selon deux axes. Tout d’abord la réception par les milieux scientifiques – revues d’histoire scientifiques et de vulgarisation en France et éventuellement au niveau international. Quels comptes rendus font état de l’erreur, comment l’analysent-ils et quelles recensions, au contraire, font l’impasse jusqu’à ne pas l’évoquer? Par ailleurs, la réception par les milieux de la déportation. Comment les déportés ont-ils réagi à la thèse et à l’erreur? Nous savons que cette réaction n’a pas été uniforme – tous les déportés n’ont pas condamné l’erreur – et que la thèse a suscité des clivages internes au monde de la Déportation, voire une crise d’autorité. Ensuite, comment cette erreur a-t-elle été reçue depuis qu’elle a été révélée en 1969? Il s’agit là d’un point d’étude particulièrement décisif, en ce qu’il permet d’aborder le problème de la variation sociale et chronologique de l’interprétation d’une erreur. En quelque sorte, une erreur peut s’aggraver ou être minorée avec le temps, en raison de la modification du contexte de réception. Il apparaît que l’erreur fut perçue comme finalement assez anodine par les historiens professionnels au début des années 1970 – ce qui explique la non-réception des travaux de réfutation menés pour le cas de Mauthausen par l’ancien déporté Serge Choumoff – et dépourvue de tout enjeu politique. La perception de cette erreur se modifie à la fin des années 1970, lors de la première grande crise négationniste, Robert Faurisson exploitant le travail d’Olga Wormser-Migot. Les modalités et l’ampleur de cette exploitation devront d’ailleurs être étudiées. La thèse d’Olga Wormser-Migot a-t-elle dès lors cessé d’être une référence en histoire de la Déportation? Il apparaît également que cette possible «mise en quarantaine» de la thèse s’est achevée après le décès d’Olga Wormser-Migot, celle-ci étant l’objet de plusieurs travaux de Sylvie Lindeperg et d’Annette Wieviorka, qui ont proposé une interprétation de la controverse entre l’historienne et certains déportés nettement favorable à la première. Erreur historiographique et perspectives nouvelles de réflexion et de recherche «L’homme de génie ne se trompe pas. Ses erreurs sont volontaires et ouvrent grandes les portes de la découverte », écrivait James Joyce. L’idée est acquise, selon laquelle l’erreur est susceptible de jouer un rôle positif dans le développement de la connaissance scientifique, car elle oblige à la réfutation démontrée. Concernant l’erreur d’Olga Wormser-Migot, peut-on considérer qu’elle a contribué à une meilleure compréhension de l’histoire de la Déportation et du système concentrationnaire? Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg le pensent, estimant que tout en commettant une erreur, Olga Wormser-Migot a conduit, en forçant ainsi le trait, à une meilleure distinction entre camps de concentration et camps d’extermination. Une analyse fine de la production historique sur le sujet entre 1968 et aujourd’hui permettrait une réponse à cette question essentielle. Par ailleurs, dans le cas d’Olga Wormser-Migot, la controverse, dont on sait qu’elle est le lieu possible de l’évolution de la connaissance, n’a pas eu lieu à l’intérieur du champ scientifique (nul historien de métier ne s’est impliqué dans le débat, cette position de retrait pourra d’ailleurs être analysée) mais entre un représentant de ce champ et des observateurs extérieurs, d’anciens déportés, situés hors-champ. Bien plus, l’attitude de l’historienne, refusant de discuter sa thèse, interdisant de fait la controverse, n’a-t-elle pas scientifiquement «stérilisé» son erreur? Au final, si l’erreur commise par Olga Wormser-Migot n’a probablement que partiellement contribué à une dynamique de renouvellement des perspectives en histoire de la Déportation, l’étude de cette erreur et de sa réception depuis 1968 possède probablement une fonction heuristique pour la compréhension de l’évolution de l’historiographie de la Déportation. Echéances Les propositions de contributions doivent être envoyées à la rédaction de la revue (revue.en.jeu@gmail.com) au plus tard le 15 mai 2013. Elles doivent comporter : nom et prénom, qualités de l’auteur ; le titre de la contribution et un argumentaire d’une quinzaine de lignes accompagné d’une courte bibliographie. Une réponse sera donnée le 31 mai. Les contributions retenues seront à remettre le 15 octobre 2013 au plus tard (maximum 30 000 signes, espaces et notes compris). Rédacteurs en chef: Frédéric Rousseau (Université Montpellier III), Yves Lescure (directeur général de la FMD) Coordinateurs du dossier: Bertrand Hamelin (professeur agrégé, docteur en histoire), Thomas Fontaine (université de CNRS-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Yannis Thanassekos (membre du conseil scientifique de la FMD).

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