Le Centenaire Ricœur (1913-2013). Paul Ricœur et la philosophie contemporaine de langue anglaise Congrès organisé par le Fonds Ricœur en collaboration avec la Society for Ricœur Studies, l’Asociacion Iberoamericana de Estudios sobre Paul Ricœur, et avec l’Université de Marbourg (RFA) du 18 au 20 novembre 2013 En France, Ricœur a joué un rôle de pionnier dans la réception de la philosophie anglo-saxonne de tradition analytique. Il est remarquable qu’il se soit beaucoup moins occupé des autres traditions philosophiques américaines, que ce soit le pragmatisme, ou le perfectionnisme d’Emerson par exemple, comme s’il cherchait à discuter ce qui lui semble le « noyau dur » des penseurs qu’il rencontre, dans ce qu’ils ont de plus différents de lui. C’est dans la trilogie centrale de l’œuvre de Ricœur - La métaphore vive, Temps et récit, Soi-même comme un autre - que la réception et la discussion de la philosophie anglo-saxonne d’inspiration analytique sont les plus présentes (ouvrages auxquels il faut ajouter le livre collectif La sémantique de l’action). A peine évoquée dans les livres et les articles antérieurs, la philosophie anglo-saxonne s’estompe à nouveau dans La mémoire, l’histoire l’oubli et dans Parcours de la reconnaissance, mais reste très présente dans les articles rassemblés dans les deux tomes du Juste, sans oublier les articles rassemblés dans Lectures I. Autour du politique (au moins à travers la discussion de Theory of Justice). C’est aux différentes facettes du dialogue de Ricœur avec la philosophie contemporaine de langue anglaise que sera consacré le Congrès organisé en novembre 2013 au Fonds Ricœur. Si la réception et la discussion de la philosophie de tradition analytique formeront l’axe principal des interventions, les autres aspects de la thématique ne seront pas négligés pour autant, en particulier les questions concernant l’éthique et la réflexion politico-juridique (cf. pt. 4). On peut dégager cinq champs de recherche dans lesquels Paul Ricœur s’est confronté avec la philosophie contemporaine de langue anglaise. 1. Philosophie analytique, structuralisme et langage Dans La métaphore vive, c’est avant tout pour clarifier le problème de la référence que Ricœur recourt à la philosophie analytique (essentiellement représentée ici par Frege, Strawson et surtout Goodman). Pour Ricœur, il s’agit de trouver dans la philosophie analytique (anglo-saxonne) les moyens de préciser ses objections contre le structuralisme (spécialement Jakobson) et de reconquérir la dimension sémantique du langage. Cette reconquête passe de façon caractéristique par un élargissement de la dimension véritative (et donc référentielle) du langage à la poésie, que Frege excluait explicitement du domaine de la référence. De manière générale, comment Ricœur fait-il dialoguer tradition analytique et structuralisme ? Quel rôle la discussion de la philosophie de tradition analytique joue-t-elle dans les stratégies argumentatives de Ricœur ? Comment se situe-t-il dans le champ et dans les débats de la philosophie analytique? La réception de Ricœur se nourrit-elle d'une approche originale de la philosophie analytique du langage ? Il serait intéressant dans ce contexte de comparer la façon dont Ricœur lit les auteurs analytiques à la manière dont ces auteurs se lisent entre eux. 2. Sémantique, pragmatique de l’action et phénoménologie C’est dans La sémantique de l’action puis dans Du texte à l’action et dans Soi-même comme un autre que Ricœur entre en débat avec la philosophie analytique de l’action: la sémantique (Strawson), la pragmatique (Austin et Searle), la théorie de l’action (Kenny, Wright, Anscombe, Davidson), enfin la question de l’identité personnelle avec la discussion de Parfit. Peut-on dire qu’elle prend la place de la phénoménologie, c’est-à-dire qu’elle illustre l’impossibilité d’un accès direct aux choses et la nécessité d’un détour par la médiation symbolique et culturelle ? Ou n’est-ce pas au contraire en phénoménologue que Ricœur résiste à la radicalité des propositions des philosophies analytiques de l’action ? Quel rôle joue dans ce dialogue ce que Ricœur appelle la « réplique poétique » ? Comment Ricœur parvient-il à mettre en dialogue ces deux traditions, c’est-à-dire à trouver des perspectives dans lesquelles ces deux traditions peuvent s’éclairer mutuellement ? Dans l’usage qu’en fait Ricœur, ces deux traditions sont-elles complémentaires ou antagonistes ? La réception et la discussion de la philosophie analytique ont-elles modifié la conception ricœurienne de la philosophie, de sa méthode et de sa tâche ? Cette série de questions ouvre sur des problèmes fondamentaux tournant autour de la conception de la philosophie, de sa méthode et ses tâches. 3. Epistémologie, ontologie historique et théories de la narration Dans Temps et récit, la philosophie américaine de tradition analytique (Dray, Danto, von Wright, Mink, Gallie, etc.) joue un rôle fondamental dans la construction d'un modèle narratif de l’historiographie. La disposition adoptée par Ricœur fait déboucher la discussion de l’Ecole des Annales sur le modèle nomologique de la philosophie analytique (Hempel), auquel sont opposées successivement les thèses de Dray, de von Wright, de Danto, de Gallie et de Mink, qui permettent de restituer sur de nouvelles bases systématiques la thèse du caractère narratif de l’histoire et de gagner quelques-uns des concepts fondamentaux de l’ensemble de l’ouvrage. Se pose ici le problème de l’articulation entre trois traditions épistémologiques de l’histoire, l’Ecole historique allemande et ses prolongements jusqu’à Max Weber, la tradition narrativiste et historiographique de langue anglaise (Hayden White, Dominick LaCapra notamment), et les écoles historiques françaises (positivisme historique, Nouvelle histoire…). Le pari de Ricœur qui consiste à articuler ces traditions mérite d’être interrogé à la fois du point de vue épistémologique (constitution d’une science historique) et ontologique (restitution de l’être de l’avoir-été). Parmi les points qui mériteraient une discussion plus approfondie, mentionnons le dépassement de la dichotomie comprendre/expliquer, dans le prolongement des travaux de Weber et de von Wright, ainsi que la perspective éthique dans laquelle Ricœur cherche une solution à la problématique ontologique. Sur ce dernier point, il serait intéressant et instructif de mettre les positions de Ricœur en dialogue avec d'autres essais analytiques pour résoudre la question de la référence de l'historiographie (par exemple les travaux de Dummett). 4. Ethique et politique. Un quatrième domaine de recherche tourne autour de l’éthique, de la philosophie du droit et du politique. Même si les trois études éthiques et politiques de Soi-même comme un autre discutent surtout les grands auteurs classiques de la tradition (Aristote, Kant, Hegel), les références à la tradition de la philosophie américaine n’y sont pas absentes. On pensera en particulier au rôle qu’y joue la discussion avec John Rawls, Michael Walzer, Ronald Dworkin, Martha Nussbaum ou encore Alastair MacIntyre ; dans ce cadre, une contribution autour d’Hannah Arendt serait également la bienvenue, même s’il s’agit d’un cas un peu particulier puisqu’Arendt appartient aussi à la tradition phénoménologique. Les perspectives développées par Ricœur dans sa « petite éthique » rejoignent un courant important de la réflexion éthique anglo-saxonne (outre les auteurs déjà mentionnés, on pensera à Charles Taylor, Charles Larmore ou McDowell). Cela tient pour une part à l’enracinement aristotélicien partagé par ces auteurs, pour une autre à une certaine réserve de ces auteurs face au déontologisme kantien et à la tradition contractualiste. Plutôt qu’à une opposition entre deux styles de philosophie (« analytique » ou « continentale »), n’a-t-on pas affaire ici à un antagonisme entre deux types d’éthique que Ricœur s’efforce de mettre à nouveau en dialogue ? Dans quelle mesure les objections de Ricœur contre la tradition déontologique et contractualiste sont convaincantes? L'orientation sur la "vie bonne" fournit-elle une perspective d'intégration suffisante pour l'éthique? Ricœur parvient-il, dans ce cadre systématique, à relier et à distinguer de façon satisfaisante l'éthique et la philosophie du droit (cf. sur ce dernier point les deux volumes sur Le juste). 5. Critique littéraire et théologie. Enfin, un dernier aspect est digne d’intérêt : la réception par Ricœur de la critique littéraire américaine, spécialement dans le champ des théories de la narration, mais aussi de la métaphore, et l’usage qu’il en fait dans sa conception de la Bible et, par voie de conséquence, dans ce qu’on pourrait appeler sa phénoménologie de l’homme convoqué (qui tient lieu de phénoménologie de la conscience religieuse dans la philosophie de Ricœur). Il est en effet remarquable que si, dans les années soixante et jusque vers la fin des années soixante-dix, c’est avant tout en référence à Gerhard von Rad et à sa grande Théologie de l’Ancien Testament que Ricœur aborde la dimension narrative de la Bible, dès le début des années quatre-vingt les travaux de Frye et de Kermode jouent un rôle de plus en plus important pour l’herméneutique biblique de Ricœur. On pourra s’interroger sur le croisement entre théorie littéraire de la narration, phénoménologie de la religion et herméneutique de la convocation, mais aussi sur le rôle d’une conception délibérément littéraire de la Bible pour l’herméneutique biblique de Ricœur, ainsi que sur la conception du discours religieux (ou : de la façon de parler de Dieu) qu'elle implique. Rédigées exclusivement en français ou en anglais, les propositions de communication, d’une page environ (maximum 3000 signes), devront s’inscrire dans un ou plusieurs de ces axes de recherche. Les propositions indiqueront l’axe thématique dans lequel elles s’inscrivent ; elles seront accompagnées d’un fichier séparé comportant une brève notice bio-bibliographie de l’auteur. La sélection des communications tiendra compte, outre de la qualité scientifique des propositions, du nécessaire équilibre entre les cinq axes thématiques proposés. Les personnes ayant répondu à l’appel seront informées du résultat de la sélection d’ici au 31 mai 2013. La durée prévue des communications est de 25 mn. Les propositions de communication devront nous parvenir avant le 31 mars 2013 à l’adresse électronique suivante : colloquericoeur2013@iptheologie.fr Direction scientifique et organisation : Olivier Abel, Johann Michel, Jean-Marc Tétaz, Dietrich Korsch, Nicola Stricker. Comité scientifique anglophone : Anna Borisenkova, Eleonore Dispersyn, Alberto Romele, Alison Scott-Baumann, Dan Stiver, George Taylor. Comité scientifique francophone : Olivier Abel, Johann Michel, Pierre-Olivier Monteil, Luca Possati, Jean-Marc Tétaz, David-Leduc Tiaha, Marc-Antoine Vallée.
↧