Le multilinguisme au cinéma et au théâtre : Une perspective traductologique
Le multilinguisme au cinéma et au théâtre est un domaine de recherche fascinant mais insuffisamment abordé en traductologie. Aussi nous donnons-nous pour objectif de pallier ce manque avec un volume interdisciplinaire qui donnera un aperçu des recherches menées jusqu’à présent et tracera des lignes directrices pour l’avenir.
La présence, de plus en plus fréquente, de plusieurs langues (sous leur forme écrite ou orale) dans un seul film ou une pièce de théâtre est principalement liée à un souhait de représenter de façon réaliste des situations où les personnages voyagent, migrent, travaillent et étudient dans d’autres pays, ou entretiennent des relations professionnelles ou personnelles dans un environnement international. Les interactions multilingues impliquent des cas d’alternance de code linguistique, mais le multilinguisme peut également se réaliser par le biais de l’intertextualité, comme c’est le cas des chansons ou des citations. Il peut également s’opérer de nombreuses variations intralinguistiques (langage archaïque, dialectes, sociolectes, idiolectes, par opposition à la langue standard) qui véhiculent des informations essentielles sur les personnages et leur mode de vie. Quelquefois, le multilinguisme concerne des langues inventées. En d’autres termes, comme le disait Delabastita (2002), nous sommes en présence d’un «grand festin de langues».
La présence du multilinguisme au cinéma et au théâtre peut considérablement varier, allant de l’utilisation de quelques mots occasionnels ou un certain nombre de phrases dans une langue autre que la langue principale du film ou de la pièce de théâtre, à des productions où deux voire plusieurs langues coexistent véritablement, tout au long du récit, chacune jouant un rôle déterminant dans les situations exposées à l’écran ou sur scène. Mais il arrive aussi que le multilinguisme ne soit pas présent là où on pourrait s'y attendre. C'est «la stratégie de remplacement» de Bleichenbacher (2008), où les spectateurs sont confrontés à des situations improbables où des personnes d'origine diverse s'expriment toutes couramment dans la même langue.
Le public est rarement tout à fait monolingue. On peut imaginer plusieurs cas de figure très intéressants et bien réels: ainsi, «l'autre» langue présente dans le film ou la pièce de théâtre pourrait être la langue maternelle de certains spectateurs. La maîtrise par le public de chacune des langues concernées, ainsi que leur proximité ou leur distance par rapport aux cultures associées à ces langues, aura inévitablement une influence considérable sur la façon dont les spectateurs comprennent les dialogues et les images, et modifiera la façon dont ils interprètent le récit, les personnages et les situations évoquées.
Parfois désignée comme un mal nécessaire et un ajout à l'œuvre finie, la traduction peut faire partie intégrante du film ou de la représentation théâtrale, selon le souhait du réalisateur ou du metteur en scène. Elle représente, bien sûr, une aide à la compréhension, mais également une voix incarnée par une présence graphique, dans le cas des sous-titres ou surtitres, ou par la personne même et la voix de l’interprète. Elle constitue, de fait, un véritable choix artistique, dans la mesure où chaque langue qui est présente aura un rôle très important dans l’ensemble de l’œuvre.
En dehors des questions de communication et de médiation posées par le multilinguisme, sa présence dans les films et au théâtre crée une mise en abyme qui pousse le spectateur à réfléchir sur ses expériences dans un monde multilingue dans lequel nous avons besoin d'interprètes et de traducteurs (Cronin, 2009 ; Şerban, 2012). Le multilinguisme étend également les limites de la traduction, qui ne peut plus être la «transposition complète d' un code source (monolingue) vers un autre code cible (monolingue) pour le bénéfice d'un public cible supposé, lui aussi, monolingue » (Meylaerts, 2006, p. 5).
Les recherches sur le film ou le théâtre multilingues en traduction peuvent mettre à nu les taches aveugles des modèles traductologiques. Puisque le film et le théâtre multilingues représentent souvent les tensions entre des codes à valeur et au prestige divergents à l'intérieur d'une culture multilingue, leur traduction peut révéler les conflits d'identité au sein de cultures multilingues. Jusqu'à quel point une traduction peut-elle, ou devrait-elle, être multilingue dans un certain contexte? Quelles sont les modalités et les fonctions identitaires (Meylaerts 2006) du multilinguisme filmique ou théâtral en traduction? Jusqu'ici, ces questions n'ont pas reçu l'attention qu'elles méritent. Elles illustrent le monolinguisme réducteur des modèles traductologiques traditionnels et l'opposition binaire entre les concepts de «multilinguisme» et de «monolinguisme». La traductologie offre-t-elle des concepts et des méthodes appropriés pour analyser ces produits culturels multilingues? Les traductologues devraient, entre autres, être prêts à dépasser les distinctions sur lesquelles ils ont partiellement basé leur discipline, à rendre explicites leurs présupposés, mais aussi la logique derrière le choix des corpus traductionnels, et à réévaluer leur métalangage basé sur des distinctions inadéquates et réductrices, car binaires. Cela concerne en premier lieu les distinctions familières entre la «source» et la «cible» ou entre «importation» et «exportation».
Références
Bleichenbacher, L. (2008). Multilingualism in the Movies. Hollywood Characters and Their Language Choices . Tübingen: Francke Verlag.
Cronin, M. (2009). Translation goes to the Movies . Londres et New York: Routledge.
Delabastita, D. (2002). « A Great Feast of Languages: Shakespeare’s Bilingual Comedy in King Henry V and the French Translators ». The Translator , 8(2), 303-40.
Meylaerts, R. (2006). « Heterolingualism in/and Translation. How legitimate are the Other and his/her language? An introduction ». Target , 18(1), 1-15.
Şerban, A. (2012). « Translation as alchemy: The aesthetics of multilingualism in film ». Dans R. Agost, P. Orero, & E. Di Giovanni (Éds.), Multidisciplinarity in audiovisual translation /Multidisciplinarietat en traducció audiovisual (pp. 39-63). Numéro spécial de MonTI , 4.
Nous invitons des contributions sur les thèmes suivants:
- Les raisons et implications du multilinguisme au cinéma et au théâtre
- L'esthétique cinématographique et théâtrale dans une perspective multilingue
- L'éthique de la représentation et du transfert multilingue
- Les stratégies de traduction
- Le rôle des traducteurs et interprètes dans les films et sur scène
- La réception des films multilingues par le public et les processus cognitifs qui l’accompagnent
- L'accessibilité aux films et aux productions théâtrales multilingues
- Les technologies de traduction multilingue
Dates limites
Veuillez envoyer votre proposition sous la forme d’un résumé de 450 à 500 mots en français ou anglais accompagné d’une notice biographique (100 à 150 mots) à adriana.serban@univ-montp3.fr avant le 31 octobre 2012 .
Avis d’acceptation des propositions : le 1 décembre 2012
Date limite pour les articles (6000 à 7000 mots, références comprises) : le 30 avril 2013
Avis d’acceptation des articles : le 1 juillet 2013
Publication : octobre-novembre 2014
Normes de présentation: http://www.lans-tts.be/Stylesheet.htm
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Multilingualism at the cinema and on stage: A translation perspective
Multilingualism at the cinema and on stage is a fascinating but, as yet, under-researched subject area in Translation Studies. We would like to contribute towards filling the publication gap with an interdisciplinary volume which will present the best of what has been done already and will set trends for the near and medium-term future.
There are several reasons for the presence of multilingualism in film and theatre, mainly linked to the realistic depiction of situations which involve travelling, migration, studying abroad, work or personal relations in an international environment, or families whose members are of different national or ethnic origins. Multilingual interactions represented in film and theatre include code-switching and code-mixing, but multilingualism also comes in the form of intertextuality, for example songs or learned quotations. Not only can there be more than one national language represented, there is generally also intralinguistic variation (e.g., archaic language, dialects, sociolects, idiolects, as opposed to standard language) which may convey important information about characters and can even include the use of invented languages. In other words, as Delabastita (2002) puts it, a ‘great feast of languages’.
The spectrum of degrees of multilingualism is extremely wide, ranging from a few occasional words or sentences in a language other than the main language to productions in which two or more languages coexist from the beginning to the end and in which the presence of all the languages is substantial. However, multilingualism does not always appear where one might expect it. This is what Bleichenbacher (2008) calls the ‘replacement strategy’. In some cases, the directors do not opt for multilingualism, which results in the viewers’ having to suspend disbelief and accept that people of diverse origin appear to express themselves fluently in the same language.
Audiences themselves are not always monolingual and there are several kinds of interesting viewing situations. For instance, the ‘other’ language could be the mother tongue of some of the viewers. It must also be added that the receivers’ mastery of the languages involved as well as their proximity to or distance from the cultures depicted will inevitably have a considerable influence on their processing of the dialogues and of the visuals. This will affect the way in which they perceive the narrative and the characters.
Whereas translation is sometimes referred to as an afterthought, a necessary evil, a cumbersome addition to the finished work, it can also be truly part of the film or theatrical performance in its original version. It is an aid to understanding, undoubtedly, but also a voice incarnated in a graphic presence, in the case of subtitles or surtitles, or in an oral rendition, if an interpreter is used.
Multilingualism makes communication and mediation issues more visible (Cronin, 2009; Şerban, 2012). When it appears in films or at the theatre, it creates a mise en abyme which stimulates the audience to reflect on their experiences of being in a world in which we need interpreters and translators. It also stretches the limits of translation by making us see that it cannot be the “ full transposition of one (monolingual) source code into another (monolingual) target code for the benefit of a monolingual target public” (Meylaerts 2006, p. 5, emphasis in the original).
Research on multilingual film and theatre in translation has the potential to lay bare the blind spots of Translation Studies models. Since multilingual films or plays for the theatre often embody the larger tensions between codes of different values and prestige within a multilingual culture, their translation may highlight internal cleavages in multilingual cultures and their linguistic and identity conflicts. How multilingual can or must a translation be in a certain context? What are the modalities and identity functions of multilingualism (Meylaerts, 2006) in film or theatre translations? Until now, these questions have not received the attention that they deserve. They expose in an important way the idealising monolingualism of traditional translational models and the reductive binary opposition between the categories of monolingual vs. multilingual. Does Translation Studies offer appropriate concepts and methods to analyse these multilingual cultural products? Among other things, Translation Studies should be prepared to transgress the distinctions on which it has built part of its raison d’être, in an attempt to make explicit not only the discipline’s presuppositions but also the rationale behind the choices of translation corpora, and to (re)assess the translational metalanguage based on inadequate, reductive, binary distinctions. This concerns in the first place the familiar distinctions between ‘source’ and ‘target’ or between ‘import’ and ‘export’.
Works cited
Bleichenbacher, L (2008). Multilingualism in the Movies. Hollywood Characters and Their Language Choices . Tübingen: Francke Verlag.
Cronin, M. (2009). Translation goes to the Movies . London and New York: Routledge.
Delabastita, D. (2002). “A Great Feast of Languages: Shakespeare’s Bilingual Comedy in King Henry V and the French Translators”. The Translator , 8(2), 303-40.
Meylaerts, R. (2006). “Heterolingualism in/and Translation. How legitimate are the Other and his/her language? An introduction”. Target , 18(1), 1-15.
Şerban, A. (2012). “Translation as alchemy: The aesthetics of multilingualism in film". In R. Agost, P. Orero, & E. Di Giovanni (Eds.), Multidisciplinarity in audiovisual translation /Multidisciplinarietat en traducció audiovisual (pp. 39-63). Special issue of MonTI , 4.
We invite contributions on the following topics
- Reasons for and implications of multilingualism at the cinema and on stage
- The aesthetics of multilingual film and theatre performance
- The ethics of representation and of multilingual transfer
- Translation strategies
- Translators and interpreters in films and on stage
- Reception and audiovisual cognitive processing by the audience
- Accessibility to multilingual films and theatrical productions
- Technologies for multilingual translation
Timeline
Send 450-500 word abstracts in English or French accompanied by a 100-150 word bio note to Adriana Şerban at adriana.serban@univ-montp3.fr by 31 October 2012 .
Notification of acceptance of proposals: 1 December 2012
Deadline for articles (6000-7000 words, including references): 30 April 2013
Acceptance of articles: 1 July 2013
Publication: October-November 2014
Style sheet: http://www.lans-tts.be/Stylesheet.htm
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