«Ceci n’est pas un style»: refus d’auteurs et impensés de la théorie aux siècles classiques Appel à communications Journée d’études de doctorants Université Paris-Sorbonne, samedi 22 Juin 2013 Au cours des XVII e et XVIII e siècles, il arrive que l’étiquette de style soit refusée, implicitement ou explicitement, à certaines productions lettrées. Ces discours, qu’ils émanent des auteurs eux-mêmes, des commentateurs ou des théoriciens, semblent pouvoir constituer un observatoire inédit pour étudier l’élaboration d’une réflexion sur l’écriture au cours de la période ; ils auraient ainsi leur place dans une archéologie de la notion de style. Ce sont bien souvent les auteurs eux-mêmes qui se défendent, de façon plus ou moins stéréotypée, d’un travail de composition ou d’une recherche d’écriture que le XX e siècle appellera stylisation . Ce discours prônant une esthétique du négligé , participant parfois d’une posture de coquetterie de l’écrivain, apparaît bien souvent comme un lieu commun. Il s’agira d’interroger des procédés souvent topiques, comme l’attribution ou la retranscription fallacieuses, la fiction du manuscrit trouvé, la restriction du lectorat à un cercle familier, l’annonce d’une écriture «au fil de la plume»…: en quoi peuvent-ils porter les marques d’un renouvellement de la pensée du style? Parallèlement, du côté des théoriciens, le postulat d’une infinité des styles («il y a autant de stiles que de personnes qui écrivent», écrit Richelet) entre en tension avec la tripartition rhétorique des styles , classification synthétique et surplombante, mouvante de surcroît, et en définitive peu encline à saisir ou à souligner la singularité de telle ou telle écriture. Le discours critique, en quête du «bon», voire du «meilleur» style, diffuse et valorise un idéal de naturel, notamment sous l’influence du modèle conversationnel et de la littérature galante, qui semble irriguer un certain rejet du style conçu comme artifice ;en prônant ce naturel comme une catégorie intuitive du goût , les commentateurs – théoriciens ou lecteurs avertis – laissent poindre un principe de subjectivité derrière la généralité de la notion. Ici semble se profiler une singularité nouvelle, distincte des postures d’originalité ou de marginalité qui foisonnaient au XVIème siècle, et pensée en lien étroit avec les notions de passion et de nature . La simplicité ainsi prônée semble s’écarter d’une définition rhétorique (un certain art de cacher l’artifice), et s’ériger en «non-style». Les discours du type «ceci n’est pas un style» formeraient alors des empreintes en creux de la réflexion théorique du temps, qui n’épouseraient pas nécessairement les contours de ce qu’elle décrit et prescritexplicitement. Seraient-ils les signes d’une difficulté à penser la singularité ? Ouvriraient-ils un nouvel espace pour la réflexion esthétique, pour une remise en cause de l’ancienne rhétorique des styles, pour l’émergence d’un nouveau goût , et l’affirmation d’une singularité d’écriture? On pourra se donner comme hypothèse que ces récusations constituent, dans certains cas, des dénégations: elles viseraient moins à condamner qu’à souligner et valoriser indirectement une pratique stylistique singulière. La désignation d’un «non-style» semble pouvoir se lire aussi bien dans diverses stratégies auctoriales (voire éditoriales) qu’au sein des réflexions de rhétoriciens et des jugements du lectorat contemporain. C’est donc en explorant ces trois domaines – production, théorisation, réception – que nous mènerons l’enquête. A l’occasion de cette journée d’études, nous souhaitons réunir des jeunes chercheurs issus de disciplines variées, dans un esprit d’échange et de débat entre diverses approches: stylistique et rhétorique, histoire littéraire, mais aussi histoire et sociologie des pratiques culturelles, ou encore esthétique et théorie littéraire… Les intervenants seront invités à explorer en particulier les questions suivantes : Quelles formes prennent ces divers rejets du style dans le métadiscours des écrivainset les commentaires des théoriciens aux siècles classiques? Où les situer, entre reconduction de lieux communs et élaboration originale ? Dans quelle mesure ces discours peuvent-ils se faire les symptômes, non d’un défaut du style, mais d’une défaillance de la pensée de style? Quelle pertinence gardent les distinctions génériques et rhétoriques lorsqu’il s’agit de dénier le style à une production écrite? En particulier, quel rôle jouent les genres spécifiquement conversationnels ou familiers, le dialogue de théâtre, la lettre, l’entretien, les mémoires…? Quelle part de stratégie entre en jeu dans ces discours? Faut-il y voir les indices d’une gêne, de la résistance d’un impensable, ou les effets de ruses, d’esquives? Comment ces discours du XVII e et XVIII e siècles peuvent-ils apporter un éclairage aux débats théoriques actuels sur la «littérature» d’Ancien Régime? En particulier, peuvent-ils nous aider à interroger la terminologie et les outils que nous employons pour rendre compte des productions écrites antérieures à notre conception moderne du style ? Les jeunes chercheurs désireux de participer à cette journée d’études sont priés de nous faire parvenir leur proposition de communication (600 mots maximum), accompagnée d’un titre provisoire et d’une brève présentation biographique, avant le 15 avril à l’adresse suivante: ceci.n.est.pas.un.style@gmail.com . Sarah Legrain et Guillaume Cadot (Université Paris-Sorbonne, équipe STIH)
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