Des récits de Joan Didion sur la contre-culture américaine aux essais de Hunter S. Thompson sur les Hell’s Angels, le journalisme littéraire américain – généralement rangé sous l’étiquette de « creative nonfiction » – a été popularisé dès les années soixante aux États-Unis et a exercé une influence notable sur l’imaginaire de cette période. Dans un article qui a fait date, «Why They Aren't Writing the Great American Novel Anymore» (1972),le tenant du New Journalism Tom Wolfe a défini ce genre à la fois comme une attitude et une pratique, qui exige un travail marqué sur la forme et requiert de l’écrivain une reconnaissance de la subjectivité de son regard malgré son emploi de techniques journalistiques. Plus récemment, les essais de David Foster Wallace sur la culture contemporaine, qui entremêlent savamment mise en scène de soi et reportage, les écrits de Chuck Klosterman sur le monde musical américain ou la prose empathique de John Jeremiah Sullivan dans son très remarqué Pulphead confirment la pérennité de ce genre. David Shields, dans Reality Hunger: A Manifesto , va plus loin encore, et place la nonfiction au centre d’une transformation des pratiques artistiques actuelles, en affirmant d’ailleurs qu’«une bonne part de la meilleure fiction est aujourd’hui présentée comme étant non-fictive». Ainsi, à en croire Shields, si la nonfiction a toujours existé, elle serait néanmoins appelée à prendre une place de plus en plus grande dans notre culture, en répondant à la «soif de réalité» d’un public lassé des formes de fiction traditionnelles. Toutefois, tandis que la littérature américaine peut se targuer d’une tradition riche et diversifiée de journalisme littéraire et essayistique, ce genre, qui ne possède pas d’appellation précise en langue française, est nettement moins présent sur la scène littéraire du Québec et de la France, peut-être en raison du manque de lieux de diffusion pour ce type d’écriture ou d’un rapport différent au canon littéraire, bien que le récent succès des récits d’Emmanuel Carrère ( Limonov , D’autres vies que la mienne ) force à nuancer ce constat. Les questions que pose ce genre littéraire souvent marginalisé et encore peu étudié sont nombreuses. Comment cette forme littéraire permet-elle de répondre à ce besoin de réel dont parle David Shields? Quels questionnements éthiques sont suscités par le mélange d’invention pure et de journalisme qui caractérise plusieurs de ces écrits? Pourquoi cette littérature a t-elle été fréquemment associée à une réflexion sur les espaces culturels négligés de l’Amérique, notamment ceux associés à la culture populaire ou aux formes émergentes? Comment se construit la représentation de l’auteur à travers un textequi se positionne à la frontière entre objectivité et subjectivité? Quelle forme prend cette pratique d’écriture au Québec (et en France)? Cette nonfiction , pensée et réfléchie surtout en terre d’Amérique, trouve-t-elle son équivalent dans le terme plus générique «d’essai» que propose la taxinomie classique? Finalement, comment la culture web pourrait-elle influencer le développement de ce genre? Les gens intéressés à proposer une lecture à propos d'une ou de plusieurs oeuvres relevant du journalisme littéraire sont invités à contacter le comité de rédaction de Salon double. Le protocole de rédaction de Salon double est disponible à l'adresse suivante: http://salondouble.contemporain.info/protocole-de-redaction-du-salon-double . Les propositions de lecture (250 mots) doivent être envoyées à salon-double@contemporain.infoavant le 15 avril 2013.Les textes, qui devront compter entre 1000 et 3000 mots, seront à remettre au plus tard le 1 er août 2013. Direction du dossier: Laurence Côté-Fournier
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