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L’ouvrage de Rachel Danon, Les Voix du marronnage dans la littérature française du xviiie siècle, tiré de son travail de thèse, s’ouvre sur le constat de l’échec d’un projet initial, qui visait à étudier les voix d’esclaves à partir de récits d’expériences personnelles, équivalents des slaves narratives du monde anglo-saxon. Se heurtant toutefois à une apparente inexistence de ces témoignages en français1, l’auteure a choisi d’avoir recours, par défaut, à des textes écrits non plus par des esclaves, mais par des Européens. Dès lors le projet se déplace et tente de faire affleurer les voix des marrons2 sous le discours, « d’exhumer ces paroles étouffées ou d’analyser leurs reconstitutions dans les textes qui les ont recueillies ou/et les ont mises en scène » (p. 13). Dans son ouvrage, R. Danon expose ainsi les résultats d’une enquête minutieuse au sein d’un corpus d’une dizaine de textes écrits par des auteurs français entre 1735 et 1790. En présentant son ouvrage comme un hommage aux résistances des esclaves, l’auteure cherche à retracer les contours d’un « imaginaire littéraire du marronnage » (p.348). Une démarche à la fois originale et audacieuse, puisqu’il s’agit d’examiner des textes du xviiie siècle tout en situant la réflexion dans les débats historiographiques sur l’esclavage des xxe et xxie siècles. L’auteure choisit en effet d’inscrire son étude dans une approche postcoloniale 3, considérant les textes de son corpus comme annonciateurs des tensions multiples qui feront osciller trois siècles de littérature ultérieure entre les charmes suspects de l’imaginaire « orientaliste », bien décrit par Edward Saïd, et des gestes narratifs à velléité émancipatrice réalisés par plusieurs générations d’auteurs de sensibilité tiers-mondiste. (p. 33)Ainsi, l’auteure parvient à montrer comment, dès le xviiie siècle, peut émerger la figure du marron « créateur de nouveaux modes de combat et de résistance », (p. 21), une figure qui connaîtra à partir du xxe siècle un essor extraordinaire dans la littérature, devenant le symbole de la résistance noire à l’esclavage4. À travers une lecture fine des œuvres et loin de tout monolithisme, R. Danon propose une analyse qui relève au contraire toutes les ambiguïtés de la représentation du marronnage, tout en cherchant à mettre en valeur la manière dont sont déjà mises en scène « les formes de résistances actives auxquelles ont participé ces sujets historiques qui ne sont souvent représentés par l’historiographie que comme