Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov Présentation et postface inédites d'Hélène Châtelain d'une édition en 5 épisodes sur la RdR, avec considérations sur l'actualité du roman et de M. Boulgakov, , 2013. «Mikhail Afanassiev Boulgakov né à Kiev la 15 mai 1891, mort à Moscou le 10 mars 1940, est un écrivain et médecin russe.» Point. Chaque mot de ce qui pourrait être une épitaphe est rigoureusement exact. Et comme toute épitaphe rigoureusement stérile et réductrice. L’aventure de Mikhail Boulgakov prise entre ces deux dates qui ouvrent et referment l’histoire de la Russie impériale puis soviétique, telle qu’elle nous a été léguée, dessine une parabole qui suit, précède, épouse, domine, chevauche le carrousel d’une époque... Une époque qui s’est proclamée porteuse d’une raison farouchement déraisonnable. L’œuvre de Boulgakov est sans doute celle qui porte cette déraison au plus loin, au plus profond. Et Le Maître et Marguerite en est le témoin fulgurant... Il y a dans le Moscou ancien qui subsiste, dans une rue silencieuse, une fenêtre presque souterraine qui ouvre sur une table d’écrivain, celle— dit la rumeur— du Maître et de l’écrivain en même temps... Une table d’où s’échappent Ponce Pilate, et le diable et les femmes qui s’envolent... le réalisme de ce temps là. Un temps que Boulgakov a affronté de face. Médecin d’abord, il a décidé de se consacrer à l’écriture. Plus de 30 nouvelles, 12 pièces de théâtre, quatre livrets d’opéra, 3 romans, Jouées ou non, éditées ou non, passant de l’écriture de «la Garde Blanche»— la guerre civile — à des postes de responsabilités dans les organisations littéraires du parti, brassant son temps autant que ce temps là le lui permettait. Et en basse continue, poursuivant l’écriture obstinée de l’œuvre majeure, fondatrice, insensée, qui échappe à toute règle, à tout critère: Le Maître et Marguerite . Une œuvre qui reste la plus révélatrice, la plus signifiante, celle qui a projeté dans la lumière, par la force du verbe, la déraison philosophique, poétique, énigmatique de son temps. Hélène Châtelain (Janvier 2013) Ce sera donc une confrontation époque pour époque de la déraison suggérée par Hélène Châtelain, parlant de l’époque stalinienne, que nous proposerons pour découvrir ou redécouvrir ce texte à la lueur de l’actualité[ 1]. Pas seulement Béhémoth, le chat couronné du carnaval, ni le chien Banga, qui sut attendre si longtemps son maître Pilate qu’il put le retrouver et devenant ainsi pour Patti Smith, dans son dernier album éponyme du chien dédié à notre monde, à l’égide de cet ouvrage, une métaphore critique du renouveau (retour) possible de l’humanité (l’espoir)... Mais encore le retournement critique de la société de nos jours où s’accomplissent les disparités sociales extrêmes alors que nous pensions aller vers leur résolution durable, la raréfaction du partage alors que nous ne la pensions plus possible, les appropriations à l’échelle planétaire dont nous n’avions pu imaginer l’ampleur aux limites, les guerres dont nous ne voulions plus et d’ailleurs qu’aucun discours ne parvient plus à justifier de façon intelligible (fin de la dialectique de la guerre égale à celle de la valeur). Enfin, la question de la capacité d’ironie des mondes poétiques et cette puissance, à l’acte de vivre. Entrons: Arrivé à Moscou dans les années trente, le Diable, sous les traits du professeur Woland, spécialiste de magie noire, se manifeste à Berlioz et Biezdomny, deux écrivains athées en pleine discussion sur la non-existence de Jésus-Christ. Satan leur affirme qu’ils se trompent et, par la magie du verbe, transporte ses interlocuteurs devant Ponce Pilate, procurateur de Judée, qui s’apprête à prononcer la condamnation à mort du prédicateur errant Yeshoua. Les deux écrivains sont on ne peut plus déconcertés. C’est alors que le Diable leur administre la septième preuve de l’existence de Dieu.
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